Chapitre 36 : Les Gardiens (époque : 2022) (1/2)

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16H, détentions secrètes.

Dans la cellule, le clinicien et le détenu s'apprivoisent. Il faut toujours quelques minutes à William Andrews pour jauger son interrogateur, afin d'évaluer son état, son besoin et la manière de procéder.

- Comment vous sentez-vous Dr Andrews, après les évènements d'avant-hier ?

J. Stevens lit en même temps le rapport des médecins.

- J'ai connu pire, répond-il d'une voix enrouée. Hélas, savez-vous, je commence à prendre l'habitude des tortures. La douleur est complexe en ce qu'elle me rappelle que j'existe toujours.

- Le corps se souvient, il est vrai.

- Que cherchez-vous si précieusement dans ce dossier, Docteur Stevens ?

- Une preuve que ma guérison d'avant-hier n'est pas miraculeuse mais générée par vos mains.

- J'en comprends que votre ventre se porte mieux ? demande-t-il si gentiment.

- Je n'ai aucune douleur depuis que vous l'avez touché. Comment...

- Tout ceci vous dépasse.

- Je vous le concède.

- Mais vous devenez au fil des jours plus clairvoyant.

J. Stevens pose les dossiers sanitaires pour se saisir de ses cheveux mi-longs qui lui masquent la vue.

- L'habitude des tortures... m'évoquez-vous ces traces de blessures sur votre corps et votre état à votre arrivée ici ?

- Que souhaitez-vous que je vous narre aujourd'hui, Docteur ? Que j'ai un don dans les mains que j'hériterais de mon père et de son père avant lui, de génération en génération ? Que je soignerais de mes mains le corps comme vous soignez l'esprit par vos pensées ?

- Durant la convalescence de ma mère...

- Et donc, Dr Stevens ? coupe-t-il, avec assertivité mais sans agacement ou agressivité.

W. Andrews est direct, spontané, authentique, comme à son habitude :

- Souhaiteriez-vous donc que je vous raconte qu'à la traversée des souffrances de ma femme comme celles qui s'appropriaient votre mère, j'aurais, sans savoir comment à votre image, rencontré une sorte de traumatisme me délivrant ainsi ce don. Qui puisse croire en ceci aujourd'hui...

- Allez savoir.

- Jamais je n'aurais pensé voir tant de choses, l'origine et la disparition, le début et la fin, la vie et la mort. Tout part de moi... que je souhaiterais que l'on m'oublie. C'est ce que j'aime chez vous Jonathan Stevens, confesse-t-il les yeux remplis d'intelligence émotionnelle, votre faculté à devenir une page blanche.

- Mon métier veut ça, soupire le Docteur, ne point juger, comprendre.

- Vous n'êtes pas dans un bon jour, ce n'est rien, rétorque le prévenu.

- Comment cela ?

- Vous savez, j'ai déjà parlé de ceci Docteur. Dans vos rêves, ce même rêve que vous me contez tous les matins, ce rêve qui vous hante et qui se termine par un faisceau lumineux.

Il continue de parler de la même voix paisible sans prêter attention à l'incompréhension qu'il provoque chez J. Stevens qui était persuadé de n'avoir divulgué cette information qu'à Martha Tabram.

- J'ai la sensation que vous savez pourquoi je ne trouve aucun Dr William Andrews dans tous les dossiers recherchés ?

Le regard du détenu est calme, posé. Il n'a pas l'air emporté ou meurtri par les violences. Il vient au psychologue une image qu'il a déjà vu, un rappel, de ce même homme à manger ici avec lui, mais il n'en avait pas souvenir, puis dans un complexe militaire, puis dans un hôpital, puis un désert...

- Vous êtes américain, n'est-ce pas Dr Andrews ?

- Oui, bien que je ne comprenne pas grand-chose aux américains en général.

- Vous ne semblez pas les porter dans votre cœur.

- Je n'ai rien contre personne en cette époque, croyez-moi.

Il respire profondément et dépose son souffle dans un murmure discret :

- Que va-t-il se passer pour moi maintenant, Dr Stevens ?

- Je présume que vous allez prochainement comparaître dans un simulacre de procès. Sachant que vous avez refusé un avocat, et qu'en face de vous les éléments seront brillants et appuyés par des puissances politiques, vous serez certainement condamné, à mort vraisemblablement.

- Bien, à mort c'est très bien. Comment met-on à mort ici ?

Sa réaction surprend J. Stevens. L'homme a accepté de ne plus être, tranchant dans le sang de la vie l'irrémédiable question Shakespearienne. Le psycho-criminologue distingue l'amertume dépassée, franchie, enjambée, dans les yeux plissés d'un homme qui a déjà tout observé. Avant que le clinicien lui demande en quoi mourir serait une bonne chose, l'homme le devance :

- Ne soyez pas étonné, ce n'est pas la première fois que l'on me condamne ainsi. Les années passent, mais les juges et les bourreaux perdurent telle la neige en hiver. La société pense se réchauffer, mais la glace se rappelle à elle à chaque pénombre.

- Je connais cette sensation d'être jugé quoi que nous fassions. Vous aviez raison hier et vous avez raison aujourd'hui.

- A propos de ? s'étonne l'homme résigné.

- De ma mère, du néant a cette période.

- Ah, et en quoi ai-je tellement de raison aujourd'hui, Docteur ?

- Je n'étais pas prêt à en parler, je le constate maintenant. Enfin...

- Vous n'êtes toujours pas dans un bon jour, répond-il les traits étirés du visage par une moquerie bienveillante. Mais soit, disons que vous fûtes mieux armé à en parler sans vous protéger encore contre ce que vous y entendriez.

- Vous me jugez avec forte intensité, Dr Andrews.

- Ne croyez pas cela. Je ne vous déshonore pas en disant cela, il faut être un Surhomme pour écouter la vérité derrière le bruit produit par l'écoulement du fleuve des mots vrais.

- A mon stade, vous savez.

- Justement, c'est toujours l'esclave qui s'emprisonne par lui-même. Les hommes se focalisent sur le bruit des arbres qui tombent, qui est bruyant je n'en doute pas, au détriment du bruit subtile des arbres qui poussent.

- Il me semble que ma vie est en morceaux, des parts à reconstituer. Je ne vois pas d'arbres qui aient poussé sur les terres dévastées du néant, s'émeut le psycho-criminologue.

- Des éléments séparés Docteur ? rebondit-il surpris et pensif. Il semblerait, oui.

- Il semblerait ?

- Il semblerait que vous soyez prêt à en parler sérieusement, comment vous le dîtes déjà ? Ah oui...

« amor fati ».

Dr J. Stevens FACE aux GARDIENS [ShortList Watty22... ss Edition] (Partie 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant