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Une douleur insupportable me transperce le crâne. Elle pulse, au rythme du tison invisible qui me fourrage l'œil et tout ce qui se trouve derrière. La main plaquée sur la tempe pour tenter de soulager cette indicible souffrance, je me traîne d'un pas chancelant. Mes doigts poisseux du sang qui ruisselle de mon cuir chevelu, je suis incapable de comprendre ce qui m'est arrivé, où je vais, mais comme si bouger pouvait m'apaiser, j'avance.

Mon cœur a un rythme erratique et cogne ma cage thoracique étrangement trop étroite pour lui. C'est l'expression de la panique que je réprime pour ne pas lâcher prise. Je vais finir par savoir où je vais et qui je suis.

La nuit est sombre, même si avec mes yeux clos ça ne change pas grand-chose et je me dirige au petit bonheur la chance sur le sentier du port. Quand j'entrouvre une paupière, je constate ma solitude. Le quai est désert, des barques dont les coques clapotent me font l'effet d'une foule qui hurle. Les sons se répercutent dans ma tête meurtrie, me mettant davantage au supplice. Les odeurs de restes de pêche, ajoutées aux effluves métalliques du fluide qui quitte en long filet mon corps pour noyer ma tunique noire, achèvent mon estomac. Une bile âcre rejoint la poussière du sol. L'effort me donne l'impression que mon crâne est à un rien d'éclater pour de bon et j'espère que ça arrive pour mettre fin à mon tourment. Mais rien. Me voilà toujours obligé de supporter cette peine qui ne semble pas aller vers du mieux avec, en plus, cette envie de vomir dure à juguler quand j'avale ma salive.

Mes pas, lents, reprennent. J'essaie de me repérer. Toutes les cabanes autour de moi sont plongées dans le noir, leurs volets clos, elles sont modestes, sans étage, une, voire deux pièces, pour la majorité. J'ai le sentiment de connaître le lieu, mais je n'arrive à rien nommer.

La lune finit par percer l'horizon, mais à sa lumière blafarde rien de nouveau pour m'aiguiller sur ma localisation. Pourtant, qui surplombe ma position, une ville, des montagnes qui la ceignent, comme l'enserre les remparts qui séparent la partie pauvre où je me situe, d'habitations plus cossues, dont je vois le bleu des tuiles s'assortir à l'ambiance nocturne. La certitude que les réponses sont à ma portée et me fuient est horrible, mais vite chassée par mon mal-être général.

Je suis perdu. Épuisé. Mes jambes tremblent à chaque avancée et une soif terrible me comprime de plus en plus la gorge. Il y a peu, boire ne me tentait pas du tout. Malgré l'inconfort, la nausée gagnait, mais la sensation de brûlure devient insupportable.

Toujours en traînant ma carcasse meurtrie, je bifurque et m'approche de l'eau entre deux quais. Sans précaution et incapable de fournir l'effort nécessaire pour une descente en douceur, je tombe à genou sur la rive. Mes mains trempent dans l'onde fraîche, les remous se dissipent, ne persiste que le trouble venant de quelques gouttes échappant à mon scalp. Une image tronquée de ma personne apparait. La peau claire, les yeux sombres, tout autant que les cheveux assortis au ciel nocturne, je fais face à un étranger. Un étranger inquiétant, le chignon sur le crâne échevelé, des taches brunies de sang qui couvrent une partie des traits. Mon attention court sur le reste de ce corps inconnu. Ma tenue entièrement noire est déchirée à plus d'un endroit, des entailles plus ou moins profondes strient mes membres. Mon pantalon bouffant a une jambe en moins qui ne tient que par un maigre lien et ne va pas tarder à se désolidariser du reste.

— Qui es-tu ? demandé-je au reflet partiel.

Pas de réponse, seulement la douleur alors que j'aurais préféré une solitude morne. Avec réticence, je finis par assouvir l'instinct primaire qui m'a amené au bord de la rivière et je bois par petite gorgée. Chacune est dure à coincer dans mon estomac en rébellion, mais je n'ai rien de mieux à faire que batailler pour ma survie, alors je tiens bon.

Quand je trouve le courage de reprendre ma route pour une destination inconnue, l'astre d'argent est haut dans le ciel qui s'éclaircit pour accueillir celui d'or.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant