Frères Ennemis

40.

Shaun était avec Tan quand je l'ai retrouvé, ils m'ont confirmé ce que Soon avait conclu ; que le prince voulait attendre la fin du procès pour agir, même si c'était prendre le risque de voir tous nos camarades se faire exécuter sous nos yeux sans broncher. Car c'est un point dont l'empereur n'a pas parlé, mais je l'imagine capable de mettre la sentence à exécution juste après qu'elle ait été prononcée. Pour marquer le coup, pour choquer, pour que le peuple contemple la marée de pourpre sur les dalles de la cour du palais et qu'ils comprennent ce qui les guette à la moindre incartade.

Quand je rejoins Soon et Lya, je note une petite silhouette qui s'éloigne d'eux en louvoyant dans la foule. Malgré la capuche qui me cache ses traits, j'ai reconnu la démarche de Hwon. Qu'est-ce que Soon mijote ?

— Que te voulait Hwon ?

— Tu verras, aie confiance un peu.

— Soon, déclare Lya d'un ton désapprobateur sans qu'il ne bronche.

— Vas-tu la laisser retrouver sa place auprès du prince ? m'inquiété-je.

— De l'empereur, tu veux dire ? Oui.

— Sans essayer un de tes coups tordus quand les frontières et les ports seront moins surveillés ?

— On a eu une discussion elle et moi, et je lui ai promis qu'elle pourrait mener sa vie comme elle l'entend et de ne l'aider que si elle me le demande.

Mon air dubitatif ne lui échappe pas.

— Vraiment. Je ne me suis pas excusé, je ne regrette pas. Vous êtes tous les deux trop naïfs, elle a failli se faire tuer plusieurs fois, dont une que tu n'avais pas vu venir alors que j'avais essayé de te mettre sur la voie.

— De toute façon, toi et moi nous ne serons pas les bienvenus dans son entourage, nous aurons de la chance si nous ne nous faisons pas exécuter à l'instant même où le prince Yun deviendra empereur. Donc tu ne pourrais plus rien faire... Et moi non plus.

Soon se contente de hausser les épaules alors que Lya nous certifie qu'elle ne laissera pas ça arriver.

Dans l'instant, je m'en fiche, parce que je ne suis pas certain que nous soyons en vie pour voir la prochaine aube, mais je l'accepte.

Le ministre du peuple se lance dans une énième explication sur les devoirs du peuple. Personne n'est dupe sur l'issue de tout ce cirque, ils vont tous être tués, ce procès n'est qu'une démonstration de force. Dans la masse de la foule, les gens vont et viennent sûrement ayant des obligations ou revenant de certaines. Il n'y a pas eu de pause pour un hypothétique repas et nous cuisons sous le soleil estival. Certains prisonniers ont tourné de l'œil et ont été réveillés avec force.

— Ça me rend malade, me confie Lya qui a noué ses doigts aux miens.

Elle s'est placée entre son frère et moi et elle nous tient tous les deux, pas pour se donner la force de regarder, mais pour s'empêcher d'intervenir. La foule est de plus en plus bruyante, les gens commentent ce qui se passe ; la violence surtout. L'empereur les rappelle à l'ordre avant d'être rapidement secondé par le soporifique ministre du peuple.

— Tout peuple honnête se doit d'être reconnaissant à l'empereur d'être sous sa protection et de bénéficier de sa bienveillance. Il doit le respecter et lui être complètement dévoué...

— Il va jamais se taire, ricane Soon avant de porter ses doigts à ses lèvres et de siffler.

Je n'ai pas le temps de m'inquiéter que de la fumée s'élève de plusieurs endroits dans la foule. Soon a lui aussi sorti un briquet à amadou pour embraser des fumigènes qu'il jette vers l'avant.