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Nous avons été levés avant l'aube, nourris d'un drôle de ragout dont je n'ai pas cherché à identifier les composants et nous sommes partis au front après avoir été assignés à des postes.

À ma grande surprise, j'ai constaté que mon camarade, Fylan, tombé lors de l'ascension n'était pas mort, seulement blessé ainsi que l'un des hommes qui a amorti sa chute. Malgré cette bonne nouvelle, le reste n'est pas réjouissant, je ne m'en étais pas rendu compte la veille. Mais ils n'étaient que soixante-dix en capacité de se battre avant notre débarquement. Ils auraient dû être plus de deux-cents. Les survivants ont tous le visage grave, différent de la peur qui se lit sur ceux de mes compagnons.

Nous arrivons rapidement en terrain dégagé. Les ennemis sont vraiment tout proches de nous, si le code du combat n'était pas respecté, en une nuit ils pourraient nous raser et récupérer ce point culminant et stratégique pour espionner et attaquer le gros de nos forces de l'autre côté du fleuve.

Une colère née de l'impuissance alimente un feu soudain dans mes veines. Tous ces gens, dont je fais partie, vont mourir parce que notre chaîne de commandement refuse de prendre des décisions qui pourraient lui être reprochées par l'empereur Palun. Ils mériteraient de perdre. Si je meurs, j'espère que ce sera le cas.

Ma propre mesquinerie me surprend, mais la friche sous mes yeux est une plaine de désolation, la terre est brunie du sang des morts, les odeurs sont pires qu'au campement. Il n'y a pas de corps, mais je devine une fosse plus loin.

Des débris d'armes, des tours en bois – en partie effondrées – parsèment le tableau.

— Les limites de notre ancien emplacement étaient ici au début, commente le capitaine Tan. Nous l'avons perdu, il y a deux neuvaines et nous avons dû nous replier dans la forêt. Notre seul avantage c'est que le champ n'est pas large et qu'il y a du vide autour. C'est ce qui nous a permis d'encaisser tous les assauts jusqu'à maintenant.

— Pour combien de temps ? soufflé-je malgré moi.

— Plus beaucoup. Reste près de moi ou du sergent Shaun.

J'obéis, même si je ne me sens pas en sécurité, car les deux hommes sont en avant et seront les premiers au contact.

— Archers, en position, ordonne le capitaine.

Trente archers valident et sept des blessés les plus légers se mettent à leur poste.

— Ils vont venir par vague, explique le sergent Shaun. La première ne sera pas terminée qu'ils vont la rappeler en lançant la seconde et ainsi de suite. Jusqu'à la nuit ou jusqu'à ce que nous cédions. À chaque fois que vous entendrez leur appel de repli, revenez en position, ne vous avancez pas plus avant. Prenez ces quelques instants pour vous étirer, respirer, prier ou quoi que vous vouliez pour vous donner l'énergie d'encaisser la suivante.

— Si vous voulez avoir une chance de voir le prochain jour, vous avez plutôt intérêt de ne pas oublier, surenchérit le capitaine.

En face de nous, les ennemis attendent. Ils ont des uniformes. Ils ne ressemblent pas à une masse hétéroclite assemblée là au petit bonheur la chance, contrairement à nous. Peut-être que l'on ne nous a pas équipés, car le jaune de l'armée de notre empereur est très proche de celui de nos adversaires. Rien d'anormal puisque nos deux nations n'en formaient qu'une il y a près de deux cent cinquante ans. J'ai presque envie de croire que c'est pour des raisons tactiques que nous ne sommes pas vêtus pareil qu'eux, mais au fond de moi, je sais très bien que c'est parce que nous n'en valons pas la peine aux yeux de l'empereur.

Le bruit des tambours résonne dans l'air et coupe court à mes réflexions. Mon cœur calque le rythme, ma respiration aussi et je dois me faire violence pour ne pas bouger, mes muscles semblent vouloir évacuer l'énergie véhiculée par le martèlement.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant