Frères Ennemis

18.

Après deux neuvaines complètes où j'ai été obligé au repos, j'ai enfin le droit de bouger. Notre lieu de vie s'est métamorphosé. Pyun et Hwon on fait quelques allées retours supplémentaires pour nous apporter le nécessaire. Certains ont fait du repérage dans la montagne, ils ont rencontré quelques bucherons, des chercheurs d'or, des bergers et quelques chasseurs. Ils ont été souvent mal reçus, mais certains ont réussi à gagner la confiance des gens et à passer des marchés que ce soit pour du bois ou de la chasse. Ce sera très peu de revenus compte tenu de notre nombre, mais c'est toujours mieux que rien, surtout que dans un an, il faudra bien que chacun se débrouille et avoir des contacts n'est jamais de trop. J'espère tout de même que Soon aidera tous ces hommes à changer d'identité pour qu'ils puissent retourner à une vie ordinaire. L'idée me fait grimacer, connaissant la fourberie de ce malfrat, je sais que ce service sera hors de prix !

— Mon gars, toi qui étais pressé de bouger, tu vas m'accompagner à Pyo.

— Pardon, ca- Tan, ce n'est pas raisonnable.

— C'est pour ça que tu viens, j'attendrais en périphérie et toi tu iras dedans.

Motivé par la perspective de me dégourdir, je me dépêche de préparer nos sacs et nous partons, laissant Shaun en charge.

— Qu'avez-vous à faire ? demandé-je.

— Voir Yun.

— Je vais devoir le guetter sur sa promenade, comprends-je.

— Oui, je pense lui avoir offert assez de temps pour réfléchir et se renseigner. Je ne peux pas me permettre d'attendre plus, Soon plante ses griffes profondément dans notre organisation.

— Voulez-vous que le prince héritier Yun nous finance ?

— Non, ça ne serait jamais discret et il serait accusé de se faire une milice personnelle.

— Il a déjà ses soldats habillés en vert.

— Je sais bien, mon gars, j'étais l'un d'entre eux. Il est limité à soixante-quinze hommes. Les sélections sont drastiques.

Des images me reviennent, dont celle du capitaine Tan à mon arrivée sur le front, je n'avais pas fait le lien, mais c'est vrai qu'il était vêtu de vert. Et j'ai été en vert, aussi, avant. Les flashs sont de plus en plus nets et je me vois en train de faire passer des tests à des soldats pour le recrutement.

— J...

Conscient que j'ai failli vendre ma seconde identité, je me rattrape in extremis en toussant.

— Yun n'a jamais voulu être nommé héritier, reprend le capitaine en me regardant de travers. Il préfèrerait que ce soit un de ses plus jeunes frères qui héritent du titre, mais personne ne lui a demandé son avis. Et de toute façon, même sans être porteur de cette responsabilité, par peur, ses autres frères et même ses belles-mères l'auraient gardé en mire dans l'espoir de l'abattre. Il est sauf parce qu'il a vraiment des hommes loyaux et excellents à son service.

— Pourtant, il sort seul, presque tous les soirs ! m'horrifié-je. Il est même rentré désarmé après notre rencontre.

Machinalement, j'ai serré le sabre.

— Tu parles à un convaincu, déjà quand nous étions enfants, j'essayais de le dissuader.

— Comment l'avez-vous connu ?

— Mon père était son maître épéiste avant d'être accusé de trahison et exécuté.

— Je croyais que votre père était soldat, dis-je en le rattrapant sur le sentier.