Les sacs sont prêts, chargés d'une partie de l'alcool et de rations, le surplus sera sacrifié au feu de joie.
— La piquette était dégueulasse, t'as vu, mais ça va quand même me faire mal au cœur ! commente Joh.
— Personnellement, je ferais carrément tout cramer sans hésiter si ça pouvait m'enlever la senteur de cadavres que j'ai dans le nez ! râle Lao.
Sans approuver à haute voix, je ne peux qu'être d'accord. Il m'a aidé à aller chercher un corps en mauvais état qui était coincé entre des branches dans la rivière. J'ai la nausée juste en pensant à la texture et à l'odeur.
Le capitaine Tan nous rejoint, rasé de frais, il a même raccourci ses cheveux qui sont simplement tenus en queue de cheval, il est méconnaissable, habillé comme nous, sans son bouc et son chignon. Il pousse la supercherie à s'essuyer du charbon sur le visage. Nous l'imitons et nous salissons pour donner l'illusion que nous avons sauvé ce qui pouvait l'être pour fuir.
Le plus préoccupant, ce sont les blessés, certains ont des plaies encore purulentes et ils sont fatigués. Les derniers jours à manger plus que de raison et à nettoyer les blessures convenablement leur ont offert un peu du poil de la bête, mais de là à savoir pour combien de temps...
Le sergent Shaun a assigné tout le monde à des tâches, dont s'occuper de tel ou tel convalescent. Nous sommes prêts, alors le capitaine saisit une buche rougeoyante et va la jeter dans la réserve où nous avons répandu de l'alcool.
Le grondement de la flamme qui jaillit m'arrache des frissons. Le brasier monte haut, il lèche les ramures du bouleau juste au-dessus. Il n'a pas plu depuis pas mal de jours, tout va très vite, des feuilles tombent en se consumant sur les tentes voisines. Il n'y a pas de vent, mais l'incendie génère ses propres courants de chaleur, sans parler des projections qui éparpillent les foyers à une vitesse que je n'avais pas imaginée, mais c'est un point positif, la tente du capitaine brûle sans que nous intervenions.
Maintenant que nous sommes sûrs que tout va partir en cendre, nous reculons et commençons à nous rendre dans la plaine.
J'ouvre la voie, près du sergent Shaun, puisqu'officiellement nous n'avons plus de capitaine. Le champ de bataille a un côté inquiétant dans le noir, comme si les centaines de défunts nous attendaient pour se venger. Malgré cette horrible impression, je m'y élance d'un bon pas, les ombres à nos pieds grandissent, signe que le feu prend une envergure incontrôlable. Tout juste arrivés à l'étranglement qui marque les deux camps, deux soldats ennemis en faction courent à notre rencontre.
— Qu'est-ce qui se passe ?! nous apostrophe l'un d'eux la main sur son sabre.
— Un incendie ! déclare un sergent Shaun paniqué. Sans eau, nous n'avons rien pu faire à part fuir !
— Votre capitaine a accepté ? Où est-il ?
— Disons qu'on n'a pas pris le risque de lui demander, réplique faussement piteusement Shaun.
— Je vois. Restez-là.
— Oh ! S'il vous plaît ! Le feu est juste-là. Sérieusement, nous laissez pas. La fumée se répand trop vite !
En effet, nos rangs arrière toussent.
— C'est pas de mon ressort, répond le soldat avant de repartir en courant et de nous abandonner avec son binôme.
— Laissez-nous avancer encore de quelques mètres, supplie le sergent Shaun. L'air devient irrespirable.
Le bois entier s'embrase dans notre dos, nous avons même vu quelques petits animaux détaler. Les quelques-uns qui ont survécu à l'appétit des soldats qui se sont donné la peine de les chasser.
VOUS LISEZ
Frères Ennemis
ActionSe réveillant sans la moindre idée de qui il est. Vyn va croiser des usuriers dont il fait apparemment parti. Perdu entre sa morale et la dure réalité de la vie, il va vite apprendre que sans violence il ne fera pas long feu. Quand, petit à petit...