Frères Ennemis

26.

Une carpe peinte en dorée. Des effluves d'encens. Un homme torse nu, le dos marqué de quelques cicatrices qui se tient devant un autre assis en tailleur dont je ne perçois que les genoux.

Des gloussements de femmes qui approchent.

Et les images s'estompent alors que je me réveille. Quel drôle de rêve. Il avait la consistance d'un souvenir, mais sans être réellement percutant. C'est curieux, car j'ai plutôt tendance à être secoué par tout ce qui a chamboulé ma vie. Dubitatif, je mets cette réminiscence sur ma visite à la maison des plaisirs, j'ai dû y espionner quelques fois puisqu'elle se situe dans le quartier riche et que beaucoup d'hommes influents s'y divertissent.

Dommage, j'aurais vraiment aimé avoir des réponses, mais il me faudra me contenter de ce que je tirerai de Pyun aujourd'hui. Enfilant mon ancienne tenue pour exposer le côté paysan, je me rends en ville, plus précisément à l'auberge de Sea pour prendre un repas.

— Tu avais à nouveau disparu, commente la tenancière en me voyant pénétrer dans la cour où elle fait mijoter son plat du jour.

— La vie est pleine de chemins tortueux répliqué-je.

Alors que je m'installe, je remarque les regards un peu tendus des hommes de Soon qui surveillent le tripot. Ils ne sont pas hostiles, mais se tiennent prêts.

— Tu devrais peut-être pas revenir ici, m'informe Sea en chuchotant. C'est pas que ça me dérange, mais tu ne portes plus la capucine. Si Soon t'a congédié de son service sans te tuer, profite de ta chance est disparaît avant qu'il change d'avis.

— Je suis venu voir Hwon, dis-je.

— Le petit est avec Pyun. Ils sont partis vers l'ouest ce matin après le repas, m'explique-t-elle en me montrant la direction.

Reconnaissant, je la remercie et paie mon repas avant de le déguster. Je m'en veux un peu de me servir de Hwon pour localiser Pyun, mais je n'ai pas vraiment d'autres pistes à suivre.

L'œil ouvert, je remonte la rue, j'ai peu d'espoirs de tomber sur eux, la ville est vaste. Ils sont peut-être allés soutirer de l'argent à un débiteur, ou alors faire des achats. Dans un cas comme dans l'autre, me perdre au hasard dans les petites venelles ne m'aiderait pas. Donc je reste sur les axes principaux en désirant les rencontrer. J'ai la chance de ne croiser que des gardes en jaune, ceux en vert risquent de me reconnaître. Après réflexion, il y a possibilité que ceux de l'empereur aussi, j'ai recalé beaucoup d'hommes pour choisir les meilleurs pour la protection du prince héritier Yun, ceux que je n'ai pas sélectionnés sont sûrement dans l'armée, mais je ne peux pas savoir s'ils sont postés en ville ou au front.

Pyo grouille de vie à cette heure, il y a de bonnes odeurs d'épices et de nourriture un peu partout. Je porte d'autant plus attention à ceux qui en vendent, connaissant l'appétit de l'adolescent.

Cette rue me fait remonter beaucoup de souvenirs, des désagréables comme ceux de l'arrestation de mon père pour le forcer à faire son service, mais aussi certains qui me rendent plus nostalgique avec nos vols à Lya, Soon et moi. Ainsi que mon engagement dans l'armée pour aller chercher Tan. La caserne ne contient vraiment que des mauvais souvenirs. Je grimace, car même si je n'ai pas été entraîné dans celle-là, mais dans une autre à l'extérieur de la ville, j'ai dû m'y rendre, elle représente le début de mes ennuis. Car depuis, rien ne va.

Le regard perdu sur l'immense porte de l'enceinte qui cache la cour et les bâtiments, je me fais haranguer par des hommes transportant un palanquin. Me confondant en excuse, je les laisse passer. L'homme qui est déposé au pôle des ministres – une enceinte jouxtant la caserne – hurle sur les quatre pauvres porteurs qui l'ont amené. L'homme en bordeaux cri tellement fort que j'entends le tenant de la conversation, il a été trop secoué selon ses dires. Je n'arrive pas à déterminer quel ministre il est, même si c'est plein de gardes pour éviter des débordements, j'ai envie de m'approcher. Si je ne suis pas capable d'identifier toutes les personnes gravitant à la cour, je vais avoir du mal à savoir avec qui Soon s'associe.