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Malgré la saison chaude dans les plaines, les nuits à l'ombre des pics sont glaciales, mais nous touchons enfin au but et tant mieux. Il y a eu quelques accrocs verbaux entre les sauvages et nous, mais aucun mort de plus à déplorer. Laisser Nan respirer me donne un arrière-goût amer. J'espère que la vie s'occupera de lui.

Nous ne pouvons pas traîner plus dans les parages, nous allons finir par nous étriper, je suis l'un de ceux qui ramènent le calme, alors que je voudrais être le chanceux qui venge Fylan. Si j'avais tué Nan quand j'en ai eu l'occasion, mon ami serait toujours en vie, cette vérité me bouffe et c'est aussi elle qui m'empêche d'assouvir ma colère, car certainement d'autres de mes camarades en paieraient le prix fort.

Le sergent Shaun devrait bientôt arriver avec son escorte de barbares. Cette nuit, nous traversons la frontière et serons enfin débarrassés d'eux.

La tension rend l'air électrique, personne ne tient en place. Il y a des soupirs, des querelles, des pieds qui martèlent le sol en cadence, c'est usant pour les nerfs, mais comment les rabrouer quand moi aussi je frétille dès que je m'assois.

— Nerveux, mon gars ?

— Oui, capitaine.

— Il va falloir arrêter de me donner du capitaine.

— D'accord.

— Tu ouvriras la marche cette nuit. Tiens.

Le capitaine Tan me tend son arc avec un carquois en cuir qui contient une dizaine de flèches.

— Cap- Tan, je ne suis pas un bon tireur.

— Je ne sais pas pourquoi tu refuses de te servir d'un arc, mais il va falloir que tu prennes sur toi, mon gars. Je sais que tu es bon, tous ceux qui t'ont déjà vu avec cette arme me l'ont dit. Si tu tiens à ta vie et à celle de tes camarades, tu t'en serviras.

Ma main tremble légèrement, une montée de larmes m'oblige à détourner la tête. La frustration s'ajoute à cette peine étrangère et je me fustige de ne pas me souvenir. Abattu et pensif, c'est le retour du sergent Shaun qui me fait prendre contact avec la réalité. La bonne nouvelle – en plus de le voir revenir sain et sauf – c'est que les sauvages ne demandent pas leur reste et nous laissent. Je mange un bout avec mes camarades en écoutant le récit du sergent. Il y a quelques tours dans la vallée et deux patrouilles qui les relient. À cette période de l'année, la végétation est dense et le sergent pense que nous pourrons passer en plusieurs groupes. Il n'y a plus qu'à espérer qu'il ait raison. C'est sur cette foi que nous parions.

Le capitaine m'a placé dans la première équipe, le stress rend ma peau moite et je ne peux m'empêcher de tripoter la corde de l'arc que j'ai monté fébrilement.

Les torches des soldats se voient de très loin et c'est vrai que caché dans les hautes herbes, en faisant preuve de patience, il est facile de les dépasser. La zone est assez défraichie sur certains tronçons, sauf qu'ils n'ont rien pu faire contre la pousse inexorable de certaines plantes. Une partie de mon groupe continue sa route pour nous trouver un abri et faire du repérage pendant qu'une une quinzaine d'archers et moi nous tenons prêts pour couvrir nos camarades qui vont suivre.

Le temps est long à attendre aux aguets, mais une trentaine de nos compagnons nous rejoint. Les archers se joignent à nous et l'attente reprend. Je ne peux m'empêcher de regarder le ciel de peur qu'il s'éclaircisse déjà, en cette saison les nuits sont très courtes. Cette crainte s'ajoute à celle qui me comprime de plus en plus inexorablement la trachée. Un flou me gagne petit à petit, ce sentiment d'attente m'est familier.

— Fais une pause, me souffle Lao.

— Non.

— Tu trembles, Vyn.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant