6.

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— Il va me tuer, marmonne Hwon en faisant les cent pas.

— Laisse-moi dormir, râlé-je pour la dixième fois.

— Il va me tuer...

— Il l'aurait déjà fait... Je pense.

— C'est toi qu'il devrait zigouiller. T'es un aimant à embrouilles !

Comprenant que c'est peine perdue pour mon sommeil, je me redresse. Hwon a des cheveux évadés de sa queue de cheval et le visage rouge à force de se le frotter.

— Je te défendrai.

— Comment ?! Hein, j'aimerais bien l'savoir !

— Je peux me battre.

— T'as passé tout l'trajet retour à faire jouer ton bras et à grimacer. Il nous a pas donné d'choses à faire parce qu'il va nous tuer tous les deux.

Un gémissement d'angoisse lui échappe.

— Ça va aller, dis-je en me levant pour poser la main sur son épaule.

Hwon me foudroie du regard et finit par quitter la cahute. Aucun de mes mots ne l'a atteint, il est en colère, en plus d'avoir peur. J'hésite à le suivre, mais mon corps semble fait de plomb, il me faut du repos.

Le sommeil me tombe dessus sans même que je m'en aperçoive.

Des gardes, leurs livrées jaunes, écho du soleil qui darde l'esplanade de poussière ocre, avancent d'un pas cadencé. Un cri. Des pleurs.

Je chute.

Non, ce n'est pas moi.

Je ne sais pas. Tout est flou, je n'arrive à focaliser sur rien.

Les mains sous mes yeux sont ridiculement petites.

— Papa ! coassé-je la gorge sèche.

Mon souffle est erratique, j'ai couru pour suivre les soldats, mais l'accès au bâtiment qu'ils ont pris m'est interdit.

— Ça va aller, murmure une voix non loin.

Curieux et dans l'espoir fou d'un réconfort bienvenu, je me retourne vers le bruit. Une fillette console un petit garçon. Dans sa robe bleu ciel elle ressemble à un ange. Ses longs cheveux noirs sont légèrement secoués par une brise qui a fait tomber le ruban rouge qui les retenait. Je n'arrive pas à me détacher de la scène.

— P'pa ne reviendra pas, pleurniche le garçonnet.

— C'est pas grave, je suis là, moi, déclare-t-elle avec un air bravache, son nez retroussé fièrement dressé.

— Lya, on est tout seuls.

Les sanglots du garçon redoublent et font monter les miens. Ils sont deux, ils ne sont pas seuls. Moi, oui.

Cette vérité me laboure la poitrine, incendie mon estomac et le tort. Qu'est-ce que je vais devenir ? Est-ce que mon père va vraiment mourir ?

Les larmes fuient mes yeux, drainant mes forces et je me retrouve au sol à inonder la poussière de ma douleur.

Le corps recouvert de sueur, je me réveille. Mes paupières grandes ouvertes, il me faut quelques instants pour reprendre mes esprits et comprendre où je me trouve. Un doute terrible m'assaille, tout paressait si réel. Plus je retourne les images dans ma tête, plus je devine que c'est mon premier souvenir aussi complet. Comme toutes les bribes que j'ai eues avant lui, il était affreux. Plus le temps passe, moins je suis sûr de vouloir me rappeler de ma vie d'avant, elle semble dépourvue de joie.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant