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L'instructeur est insupportable, surtout depuis que je l'ai humilié lors d'une démonstration. J'aurais dû me retenir, mais j'avais besoin de me dépasser, parce que j'ai été trop lâche pour tester mon niveau contre Soon avant de partir. S'il m'avait dit être catastrophique, la peur m'aurait paralysé. Je ne parviens même pas à comprendre si j'ai peur de mourir ou si j'ai peur de mourir avant de savoir qui je suis vraiment. La souffrance ne m'effraie pas autant que ce qui grouille en moi et que je n'arrive pas à atteindre. J'espère avoir bientôt des réponses.

Aujourd'hui, comme tous les jours, l'instructeur nous oblige à courir en tenant des bâtons lestés. Si nous ne sommes pas assez performants, il nous prive de repas. Tous. Il suffit qu'il trouve que l'un de nous marche au lieu de cavaler et nous pouvons dire adieu à la pitance. J'ai faim. Je suis fatigué. Et j'ai la certitude que sur le terrain ce sera pire.

La plupart des personnes qui se sont enrôlées en même temps que moi l'ont fait pour l'argent qu'allait toucher leur famille. Certains ne cachent même pas qu'ils sont là pour mourir. J'en ai aussi entendu discuter du futur mari de leur femme. Les mœurs de l'empereur ont vite pris dans la population et les hommes avec plusieurs épouses sont de moins en moins rares. Cette situation me désabuse.

Soon m'a montré le portrait de l'individu que je devais trouver. C'est un général, des dernières informations qu'il a. Fils d'un haut dignitaire, il a été assigné au pire endroit pour être puni. Soon ne s'est pas étalé sur le pourquoi. Il m'a donné une lettre cachetée à lui remettre. Je vais peut-être mourir sans jamais savoir de quoi il retourne. Même si... Même si j'ai eu l'impression que Soon voulait que je revienne vraiment. Il a surtout parlé de son sabre qu'il souhaitait retrouver, mais j'ai eu l'intuition qu'il n'était pas si serein que ça de m'envoyer là-bas. C'est peut-être un piège, peut-être qu'il a fait semblant pour que je ne me méfie pas et qu'il me manipule. Comment savoir... Donc dans le doute, je préfère croire ce que j'ai interprété dans son comportement.

Ce soir ne fera pas exception, nous ne mangerons pas. Deux hommes sont tombés et ont été trop longs à se relever. Heureusement, c'est notre dernier jour d'entraînement, ce rythme me sapait le moral.

Demain, nous partons. Une boule énorme pèse dans mon ventre et je crois que malgré ma faim je n'aurais pas été capable d'avaler quoi que ce soit. J'ai hâte que tout soit derrière moi. Si je m'en sors...

Certains de mes camarades geignent, leurs estomacs gargouillent, d'autres dorment déjà sur leur maigre futon et moi je fixe le plafond. Le sommeil n'est pas très loin et il serait salvateur pour mon corps, mais je sais que quand j'ouvrirai les yeux, nous partirons. Le poing fermé sur mon sabre, je le serre de toutes mes forces, espérant que la pesanteur de mon ventre s'allège, que cette angoisse sourde me laisse du répit. Mais c'est vain et je l'entraîne avec moi en songe.

Mes sanglots, ma peine, ma peur, c'est trop et je vomis, recouvrant mes larmes dans la poussière du contenu acide de mon estomac.

— Ça va ? me demande la voix fluette de la petite fille.

Elle a avancé de quelques pas dans ma direction et se trouve à mi-chemin entre son frère et moi.

— Ton papa aussi ils l'ont pris ? reprend-elle.

J'acquiesce incapable de parler.

— Tu as une maman ? s'enquiert-elle.

Un sanglot et la seule réponse qu'elle obtient.

La scène reste figée le temps que des gardes nous chassent et nous dispersent à coups de pied pour permettre à des palanquins de déposer leurs occupants. C'est la fête, celle de l'empereur, mais aucune once de liesse ne m'atteint. Et je suis à nouveau seul.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant