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Troisième jour sans incident à récolter les créances. Hwon devient de moins en moins désagréable au fur et à mesure des efforts que je fournis pour être impitoyable.

Je me dégoûte. Brutaliser les gens, les effrayer pour les racketter, ce n'est pas moi. Je refuse de le croire, pourtant au fil de mes forces retrouvées, je me rends compte que je sais me battre. Mes muscles ont des automatismes qui me le prouvent.

Une routine est déjà présente, la bourse que m'a offerte Soon est généreuse et heureusement, car Hwon mange pour trois.

— As-tu de la famille ? m'enquiers-je en attendant qu'il termine son bol.

— Mon père a été enrôlé de force et ma mère m'a abandonné pour se remarier.

— Quand doit-il revenir ? demandé-je en occultant une partie de la phrase à laquelle je ne sais pas comment réagir.

— Il est en service pour cinq ans, il lui en reste deux. Mais j'suis sûr qu'il est déjà mort.

— Pourquoi ?

— Parce que la durée d'vie d'la chair d'première ligne, c'est trois partans. Mon père savait même pas se battre quand ils l'ont embarqué.

— Je suis navré.

— Il n'avait qu'à pas contracter d'dette ! J'ai eu d'la chance qu'ils me prennent pas aussi !

— Tu es trop jeune pour aller à la guerre.

— Ça veut rien dire, ils nous envoient pas forcément pour le combat, on fait les menus travaux... Soon a été gentil d'alléger la dette d'mon père et d'me laisser une chance.

— Pourtant, les menus travaux, c'est exactement ce que tu fais pour lui.

— J'mange à ma faim. J'suis pas battu... Si j'fais ce qu'on attend d'moi, ajoute-t-il à mon regard sceptique.

Pour toute réponse, je me contente de grimacer.

Une patrouille de gardes du palais arrive dans l'auberge où nous sommes. Hwon n'est pas très à l'aise. Il faut dire que depuis quelques jours, il y a eu des éclats dans la ville. Trois hommes de Soon ont été mis en prison, le ministre du Budget a été agressé et les responsables n'ont pas été clairement identifiés, alors ils arrêtent les gens au petit bonheur la chance.

— Mange, ne t'inquiète pas, lui dis-je.

Hwon enfourne chaque bouchée sans lâcher des yeux les individus en livrées jaunes, attablés à l'autre bout de la pièce.

— En les fixant de la sorte, tu deviens louche, lui fais-je remarquer.

— Mais au moins, je les verrai bouger, murmure-t-il.

Malgré les inquiétudes de mon compagnon, il finit son repas sans encombre. La serveuse adolescente nous salue en offrant une œillade gourmande à Hwon. Cette scène m'arrache un sourire, chose assez rare dans ce travail qui bouffe le peu de moi que je crois connaître ; ces quelques valeurs sur lesquelles je crache.

Les échanges de regards énamourés sont interrompus par un garde qui hèle la jeune fille.

— Elle aime les chiens de Soon, commente l'un des soldats.

Les autres ricanent et nous portent leur attention. Aucune animosité particulière ne me saute aux yeux de prime abord et c'est d'un pas tranquille que je suis Hwon qui a déjà détalé. Sauf qu'un garde nous interpelle et nous court même après dans la rue. Prudent, je m'arrête pour savoir de quoi il retourne, mais Hwon ne l'entend pas de cette oreille, il m'attrape le poignet et me tire à sa suite.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant