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Mon cœur déchiré en mille éclats me cloue au lit, la journée durant. Lya est morte et Soon le sait depuis le début et il a refusé de m'en parler. J'avais un secret espoir qu'elle soit vivante quelque part. Jamais elle ne nous laisserait sans nouvelle et, de toute évidence, Soon et moi serions restés comme des frères si elle était toujours parmi nous. Il doit m'en vouloir, même si je ne comprends pas pourquoi, mais en cet instant je m'en fous un peu, la culpabilité, la peine et la colère bataillent et je pleure sans discontinuer.

— Vyn, t'es là ? me demande une voix en pleine mue.

— Va-t'en, Hwon.

— T'es pas venu aujourd'hui ! J'ai cru que le boss t'avait donné du taf, mais il m'a dit que non, j'étais inquiet !

L'adolescent entre sans mon autorisation et commente la loque en larme que je représente. Il n'est pas méprisant, c'est qu'il ne comprend pas et je refuse de répondre à ses questions.

— Hwon, va-t'en.

— T'es pas malade au moins ?

— Non ! Retourne au tripot et laisse-moi tranquille.

— Comme tu voudras, mais si Soon te sanctionne se sera tant pis pour toi !

Quand Hwon quitte ma maison, sa remarque fait son chemin dans mon esprit torturé, je bondis de mon futon et me précipite sur le coffre, je n'y avais pas pensé avant !

Le quinzième jour du quatrième partan de l'an deux cent cinquante-quatre après la séparation.

Un. Cinq. Quatre. Deux. Cinq. Quatre.

Les rouages ont glissé dans des cliquetis feutrés et un clac ponctue la fin de la manœuvre.

La porte en fonte s'ouvre, à l'intérieur ; une bourse posée sur des papiers. Un mot et des portraits. Un de Soon, un de Tulan, un de moi, un du prince héritier Yun, un du ministre du budget Law accompagné d'une note me mettant en garde. Et un dernier ; Lya. Elle est magnifique, elle doit avoir seize, ou dix-sept ans au plus. Elle y fait légèrement la moue, comme si elle allait nous gronder.

Les larmes arrivent en torrent m'empêchant de respirer correctement. J'éloigne les croquis pour ne pas les abîmer et m'effondre sur le parquet. Il me faut un temps indéfini pour me reprendre et me rappeler qu'avec tout ça il y avait une lettre.

Mun, quand tu liras ces mots, tu seras certainement en colère, à moins que tu aies tenté d'ouvrir le coffre à l'usure en essayant des combinaisons au hasard. Si tu les as essayés dans l'ordre, ce n'est que la cent cinquante-quatre mille deux cent cinquante-quatrième... Quel acharnement !

Trêve de plaisanterie, je sais très bien que tu n'as pas fait ça, tu es trop docile, comme toujours. C'est ce qui finira par te coûter la vie.

Tu n'es plus obligé de travailler pour moi. Si tu te souviens de qui tu es, tu sais qui est ton maître et pourquoi tu le sers au péril de ta vie quitte à devoir me faire perdre la mienne. Dans le pire des cas, je te laisse son visage et à toi de te débrouiller pour le reste.

J'imagine que tu sais aussi que je t'en veux au point qu'il m'a été pénible de te voir si vulnérable dans mon bureau sans pouvoir t'achever. J'aurais pu. J'aurais dû... Mais je pense que tu vas encore avoir ton utilité.

C'est un jeu que nous avons accepté il y a longtemps... Lya ne l'aurait pas apprécié, mais heureusement qu'elle ne peut plus rien nous dire... Pas vrai ? Égoïstement, j'espère qu'en cet instant tu souffres au moins autant que moi quand j'ai couché ces mots.

Quoi qu'il en soit, aucun de nous ne peut plus reculer. Et tu le sais.

Ne sois pas trop naïf, ne me facilite pas trop la tâche.

Adieu, mon frère

Sa rancœur et son amour, en une dualité parfaite, m'ont fait me sentir autant aimé que haï et j'ai mal, mal pour nous et surtout pour Lya. Ce connard ne m'a même pas dit ce qui lui était arrivé ! Il l'a fait à escient ! Mais j'en ai marre de respecter ses décisions, marre de ne pas savoir ! De vivre avec la certitude que je ne la verrai plus sans savoir pourquoi.

Empoignant mon sabre et laissant celui du prince, je sors de l'habitation d'un pas décidé. C'est presque si j'en oublie de me chausser. Je parcours la ville jusqu'au tripot qui est animé, comme toujours quand le soleil s'est caché.

Soon n'est pas là, un garde en faction me regarde, interloqué, passer en trombe et répond à ma question pour m'indiquer où se trouve le patron.

Sans ralentir, je me rends chez lui.

Kuryn et Byo sont en poste devant la porte.

— Té, le moribond, t'as pas l'air en canne, mais tu peux pas entrer.

— Poussez-vous !

Byo et Kuryn comprenant que je ne m'arrêterais pas cette fois sortent leurs armes de leur fourreau.

— Je ne veux pas vous blesser, dis-je.

— Tu vas devoir si tu veux passer.

Soon a sûrement imaginé que je ne forcerai pas le passage, cette réalité alimente le marasme de sentiments qui me rongent, sans réfléchir plus avant, je détache mon arme – sans la dégainer – pour attaquer. Je pare avec le bois et frappe, sur les bras, les estomacs et à force, je parviens à assommer Kuryn avant que Byo ne le suive de près.

Pressé, je passe sous l'arche et fais un pas dans la cour avant de m'arrêter. Nonchalamment appuyé contre un pilier de son auvent, Soon m'attend.

— Ce raffut c'est parce que tu as ouvert le coffre, pas vrai ?

— Soon, grondé-je.

— Mun ?

— Je suis las de tes petits jeux, réponds à mes questions !

— Oh, tu ne te souviens pas de tout, qu'est-ce qui te manque ? Savoir pourquoi Tulan a été torturé avant de crever dans le déshonneur ? Ou pourquoi Lya pourrit pour l'éternité ? La réponse est simple, tout est de ta faute !

— Qu'est-ce qui est arrivé à Lya ! m'énervé-je.

— Cri plus fort, mes invités ne t'ont peut-être pas entendu.

— Soon !

— Tu souffres, pas vrai ? Tu voudrais savoir ? T'en crèves, je le vois de là. J'ai bien fait de te garder en vie, ce désespoir tu le mérites.

Sans un mot de plus, il se détourne et entre chez lui. Je fais un pas en avant pour le stopper, mais plusieurs hommes arrivent pour me barrer le passage. Ma colère contre Soon et contre moi-même est énorme et je commence à faire glisser mon acier de sa gaine, mais à mi-course, je me ravise, le regard d'un des soldats m'a rappelé que tous ces gens n'y sont pour rien. J'aurais ma revanche ! J'aurais mes réponses. Que Soon se tienne prêt, car s'il veut jouer, il sera servi.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant