— Où est l'argent ? demandé-je à un paysan que je tiens par le haut de la tunique.
— J-je ne l'ai pas...
— Vous aviez jusqu'à aujourd'hui. Si nous partons sans, vous serez vendu aux forces armées.
— Pitié ! J'ai trois enfants, une femme et ma mère est souffrante.
L'homme tombe à genoux et me supplie.
— Va fouiller, ordonné-je à Hwon.
Le poignard à la main et l'œil mauvais, il entre dans la vétuste demeure. Il ne lâche plus son couteau depuis l'incident qui nous a frappé presque trois neuvaines plus tôt. Au départ, il argumentait que c'était sa façon d'assouplir ses doigts raidis par les cicatrices, mais je ne suis pas aveugle. Sa vulnérabilité l'a ébranlé, il s'est vu mourir. Par deux fois qui plus est, parce que Soon n'a pas été ravi de nous rencontrer dans de tels états. Ce qui a sauvé l'adolescent c'est que l'agresseur n'était pas un débiteur, mais un bandit et que ça n'avait donc rien à voir avec notre activité.
Les cris des enfants et des deux femmes qui étaient cachés à l'intérieur, suivi du vacarme du mobilier retourné m'apprennent que Hwon fait du zèle. Ce chaos m'arrache à mes réflexions.
— Y'a rien, finit-il par déclarer en me rejoignant. Même pas un bijou, vraiment rien... C'est décevant.
Les habitants sont sortis et s'agglutinent en larme.
— Votre fille est en âge de se marier, dis-je. Pourquoi ne pas l'avoir vendu au palais ? Ou ailleurs.
— Elle n'a pas à subir la conséquence de mes choix, réplique l'homme en se redressant piqué dans sa fierté.
— C'est donc vous qui serez vendus. Profitez des derniers jours qu'il vous reste ensemble.
Sans un regard pour eux, je m'en vais. Hwon pousse le vice à bousculer le débiteur dont la vie vient de s'effondrer et ça ne me fait rien. Mon empathie c'est éteinte au fil des jours et je commence par admettre que j'ai toujours fait ça. J'ai la violence en moi. C'était orgueilleux de ma part de me croire différent et de juger, j'en prends conscience. Vivre ou mourir. Il n'y a que ces deux choix et si on fait le premier, il faut accepter que d'autres doivent périr.
Hwon joue avec sa lame tout le trajet pendant que le sabre que m'a fourni Soon bat ma hanche, je ne m'en suis pas encore servi, mais j'en ai de plus en plus envie. Des éclats de souvenirs me reviennent parfois. Ils sont toujours très sombres, mais aussi très violents. Quand nous sortirons de chez Soon, je proposerai à ses subalternes de m'entraîner avec eux, je veux voir de quoi ce corps est capable. Ce sera possible, si l'entrevue se passe bien, puisque c'est assez aléatoire et dépendant de la journée qu'a passée le chef. Dans le cas contraire, nous aurons intérêt à ne pas traîner.
— Soon ne va peut-être pas être content, commenté-je au fil de mes pensées.
— Pourquoi ?
— Parce que nous ramenons rarement le due des gens.
— Il s'en fiche, c'est l'trésor d'royaume qui l'paie si les gens paient pas. En plus, ça l'met dans les petits papiers du ministre des armées, Jol.
— Vraiment ?
— Bah, ouais. L'ministre est plus obligé d'partir chasser les pauvres pour les enrôler d'force et donner une mauvaise image d'palais. C'est Soon l'méchant.
— Et nous.
— Ouais, et nous. Moi tant quand j'peux bouffer et que j'meurs pas d'froid, j'm'en fiche. Être un gentil mort, ça sert à rien.
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Frères Ennemis
ActionSe réveillant sans la moindre idée de qui il est. Vyn va croiser des usuriers dont il fait apparemment parti. Perdu entre sa morale et la dure réalité de la vie, il va vite apprendre que sans violence il ne fera pas long feu. Quand, petit à petit...