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Sans vraiment être surpris, je n'ai rien tiré de Soon. Il a conclu notre entrevue en m'ordonnant d'être discret – surtout auprès des patrouilleurs – si je ne voulais pas être reconnu et tué, puis il m'a assigné à l'entraînement des hommes du clan.

J'habite dans la maison de Vyn, enfin, j'imagine que c'est réellement la sienne et que Soon ne m'a pas dégotté une cahute sortie de nulle part, mais avec lui, dur de savoir.

La journée, et parfois une partie de la soirée, je dispense des conseils et fais quelques passes avec les membres des capucines, puis la nuit, je vais me poster en haut du merisier pour surveiller le prince héritier Yun. Il m'a repéré dès le premier soir et m'a offert le sourire d'un enfant sans remords et qui jouit de sa bêtise.

Autant dire, qu'après une neuvaine à ce rythme, la fatigue pèse de plus en plus sur mon corps, mais je m'accroche, espérant collecter des informations importantes dans les allées et venues au bureau de Soon. Un Soon qui ne m'adresse jamais la parole, il m'ignore, tout simplement.

En plus de tout ça, dès que je grappille un peu de temps, je fais des recherches discrètes sur les familles de mes camarades cachés dans les bois.

Hwon passe de plus en plus de jours avec moi, Pyun a beaucoup de missions. J'ai sondé l'adolescent pour savoir lesquelles, mais il n'a rien pu me révéler. Je prends mon mal en patience et constate la constante évolution du futur jeune homme. C'est mon seul réconfort dans ce quotidien, car même si je parviens à rassembler des éléments pour rassurer – ou non – mes compagnons, je me sens relativement inutile.

J'ai peu de souvenirs qui me reviennent, je rêve beaucoup de choses dont je me rappelai déjà. De nos vols à S, Lya et moi. Du nombre de fois où nous l'avons échappé in extremis. S en vraie tête brûlée prenait toujours le plus de risques, rendant Lya folle. Nous avions des concours amicaux, généralement stupides, comme voler tel ou tel marchand en se laissant voir pour savoir qui serait le plus rapide à fuir.

Nous avions, faim souvent, froid de temps en temps, mais j'étais heureux. Ils étaient mon univers.

Aujourd'hui, Soon ne s'est pas montré et très peu de ses hommes sont passés au tripot. Je l'imagine dans son domaine, vêtu de gris à graisser la patte d'un magistrat quelconque. C'est là-bas que je devrais être posté, c'est là qu'il rencontre les gens les plus importants. Je suis inutile, le prince héritier Yun m'a demandé d'être patient et attentif, un soir où il m'a fait signe de le rejoindre. Mais j'ai conscience de ne rien maîtriser et j'ai besoin d'éléments pour avancer.

Je suis épuisé de cette attente après je ne sais trop quoi... Mes souvenirs, une menace contre le prince héritier ou ma personne, la révélation des plans de Soon concernant les hommes de Tan ou tout ça à la fois.

Ce soir, assis dans mon merisier, je ne suis pas très attentif, je devrais, mais mentalement, je ne suis plus là. Le prince arrive d'un pas tranquille, seul comme à l'accoutumée, mais il m'invite à le rallier.

— Votre Altesse, dis-je en m'inclinant.

— Mun, j'ai pensé à ton sabre ! Je ne pourrais pas être là dans les jours à venir, nous recevons une délégation de l'empereur Anyl.

— Ça ne sera pas dangereux ? m'inquiété-je.

— J'ai des gardes entraînés par tes soins ! Craindrais-tu d'avoir mal travaillé ?

— Non, Votre Altesse. J'ai peu de souvenirs, mais je suis certain d'avoir fait au mieux.

— Bien, prends ça et laisse-moi profiter de ma nuit.

Sans y réfléchir, je tends la main pour saisir l'arme qu'il me rend, comme il m'a demandé de le laisser tranquille, je me retiens de justesse de vouloir lui rendre son sabre et me détourne. Mais alors que je m'apprête à passer l'arme à ma ceinture, elle m'est étrangement familière. Rien d'étonnant puisque c'est supposé être la mienne. Sauf que je n'ai pas de souvenirs de ça, ce qui m'interpelle, c'est que c'est la réplique exacte de celle de Soon.

— Un problème ? s'enquiert le prince héritier.

— Cette arme...

— C'est moi qui te l'ai offerte. Normalement, les commandants doivent pouvoir se l'acheter pour prétendre au poste, mais j'ai fait une petite exception, il n'y a que la noblesse qui la possède. Lors de l'apprentissage, ce code permet de différencier le peuple des individus de rang supérieur. Si mon père avait appris mon geste, il ne l'aurait pas apprécié, ricane-t-il.

— Merci, dis-je. Voulez-vous récupérer votre arme ? demandé-je.

— Non, je te l'offre, encore quelque chose que mon père n'apprécierait pas, déclare-t-il en riant. Bonne surveillance.

Interloqué, je monte dans mon arbre et fixe la garde. Comme pour celle de Soon, le pommeau est orné d'un ruban rouge. Je sais qu'il n'est pas le seul à en arborer, mais le fait que l'arme soit identique, jusqu'au fourreau laqué de noir, me provoque un certain malaise.

Le reste de ma surveillance est impacté par ce drôle de ressenti, heureusement, il ne se passe rien, car je n'étais vraiment pas à ma tâche.

Accablé par toutes les attentes qui me rongent et cette gêne, je vais me coucher sans avoir mangé.

Je me réveille le corps endolori, le plancher sous moi est chaud.

— Ne me refais plus jamais ça ! pleure Lya en se jetant sur moi.

Des picotements et des brûlures me parviennent de mes bras et mes jambes, je ne comprends pas ce qui m'arrive.

Je tente de parler, mais ma gorge est douloureuse.

— Tu m'as fait tellement peur, recommence Lya en tapant du poing contre mon torse.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demandé-je avec un filet de voix.

— Ce qui devait arriver ! Je t'ai trouvé inanimé dans la neige sur le terrain d'entraînement ! Ton corps était froid, j'ai cru que tu étais mort, je t'ai traîné jusqu'ici.

— J-je suis désolé.

— Tu peux.

Maladroitement et péniblement, je parviens à bouger mon bras pour la serrer contre moi.

— Je t'aime, renifle-t-elle.

— Moi aussi, Lya. Je vous aime. Comment va-t-il ?

Lya tourne le visage vers le corps allongé près du mien. Le visage blafard, les traits tirés, le front en sueur avec ses cheveux collés qui lui mange le visage, rien n'est bon signe.

— J'ai réussi à lui faire avaler un peu d'infusion, mais il ne s'est pas réveillé.

— Soon est têtu, s'il y en a bien un qui doit survivre au mal des montagnes, c'est lui.

La révélation m'extirpe du souvenir en sursaut, j'aurais dû me faire confiance. Évidemment que Soon est le frère de Lya, je le pressentais depuis le début, même si beaucoup de choses ne collaient pas ; que ce soit son statut social, ou le fait que nous ne soyons pas amis. Cette évidence rend d'autant plus réelle une chose, le mausolée, le ruban pour la personne perdue, Lya est morte...

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant