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Cette fois, j'ai fait mon tir en plein jour, toujours assisté du sergent Shaun qui, en m'encourageant, parvient à éloigner le vide abyssal qui m'habite quand je touche un arc. L'avantage de voir mon trait arriver à bon port, c'est que j'ai pu constater qu'il avait été brûlé sans que la missive ne soit lue.

— On a débattu pour rien, ricane le sergent Shaun. On aurait pu insulter l'empereur sur le message, il l'aurait jamais su.

— Ça nous enlève une épine du pied, si jamais les choses ne se passent pas comme prévues, le capitaine pourra dire qu'il a demandé quoi faire et n'a pas reçu de réponse.

— J'espère qu'il n'en aura pas besoin. Au fait, merci d'avoir pris ma place pour le seconder.

— Ce n'est pas ce que je voulais, me sens-je obligé de dire.

Le sergent s'arrête à l'entrée du campement et me fixe.

— Je suis sérieux, insiste-t-il. Au début, je pensais que tu serais un boulet ; les quelques vagues qu'il te faudrait pour te faire tuer, mais je suis heureux qu'un bon épéiste comme toi soit arrivé. Il va me falloir un moment pour récupérer, le capitaine a besoin d'être soutenu. Il n'a plus le temps de former personne. C'est lui qui m'a appris à manier l'arc, mais même ça, il ne peut plus l'enseigner.

— Je ferai au mieux, dis-je en lui serrant l'épaule valide.

Le sergent m'offre un sourire et retourne se reposer, alors que moi je pars tout rapporter au capitaine. Je crois que la réaction du campement mère l'a conforté dans son idée. Et quand je l'accompagne en portant à mon tour le linge noir et la branche de chêne, je reste aux aguets.

— Acceptez-vous la trêve ? s'enquiert l'émissaire.

— Oui, mais en échange nous voulons trois cents litres d'alcool, sept cents kilos de riz et deux cents kilos de viandes séchées.

— Est-ce bien raisonnable ? réplique l'interlocuteur avec un petit sourire suffisant.

— Vous avez raison, quatre cents kilos de viande séchés, il ne faut pas que je sous-alimente mes soldats.

— Il ne vous reste pas autant d'hommes, répond l'autre avec arrogance.

— Vous êtes sûr ?

— Bien, je vais transmettre. Si c'est accepté, les charrettes devraient arriver dans la matinée de demain.

L'homme s'en va et, moi, je n'en reviens pas. Le capitaine a requis de la nourriture comme si nous étions deux fois plus nombreux.

— Nous sommes à leur merci. Croyez-vous qu'ils vont accéder à vos exigences ?

— Oui.

— C'est l'équivalent de rations d'une neuvaine pour trois cents soldats !

— Je sais, j'ai même forcé sur l'alcool, mais avec tout ce que nous avons à nettoyer, je voulais que la demande complète soit cohérente. De toute façon, ils ont fait l'offre pour nous dénombrer et avoir une idée de combien nous sommes encore. Ils s'imaginaient avoir repris cette espace depuis longtemps, alors ils cherchent à estimer le temps qu'il leur faudra.

— Ils vont peut-être empoisonner les denrées.

— J'y ai pensé, même si c'est peu probable. S'ils avaient voulu être déloyaux, ils auraient pu attaquer après la tombée de la nuit. Mais par précaution, pour la nourriture et l'alcool, la première journée, seuls les blessés graves auront le droit d'y toucher.

— Si jamais... commencé-je avant d'être coupé.

— Je sais, mais la plupart sont condamnés. Ils mourront le ventre plein quoi qu'il arrive.

Frères EnnemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant