Une voiture roule à tombeau ouvert sur une petite route de campagne. Bien que les fenêtres soient hermétiquement fermées à cause du froid polaire de cette nuit de début décembre, une musique syncopée arrive à s'échapper de l'habitacle et transperce la nuit en cadence. Dans cette solitude nocturne, la voiture a la fulgurance d'un ouragan. Elle passe, étourdie, puis disparaît dans une bourrasque.
Au volant, Pélagie. Pas Anna ou Léa. Pas Annabelle ou Mirabelle. Pas Sophie ou Julie. Non, Pélagie. Comment et pourquoi un tel prénom ? Quels genres de parents oseraient donner un tel handicap dès sa naissance à sa progéniture ? La réponse est : Pas un parent. Plutôt une directrice d'Institut catholique de charité qui n'allait pas se creuser la tête pour nommer ses petits protégés. Elle choisissait le saint du jour ou celui auquel elle pensait au moment de l'arrivée inopportune du bambin.
Donc, le 8 octobre 1992, c'était Pélagie. Pour autant, la jeune femme ne s'en plaint pas. Parce qu'elle sait qu'il y a pire, bien pire. Voyez plutôt. Elle a passé son enfance avec un Firmin un peu sourd, une Germaine maigre comme un clou, un Odilon particulièrement coléreux, un Casimir solaire mais muet comme une carpe, une Parfaite pas si parfaite, un Thècle qu'elle a finalement décidé d'adopter comme petit frère fictif, une Xavière très mature mais pénible, et une Abondance qui aurait fait pleurer la joie elle-même. Ben oui, donc. Y'a pire.
Mais c'est sûr que s'appeler Pélagie en plus de n'avoir aucun parent, ça ne prédispose pas à une vie pavée de roses. Toutefois, Pélagie, malgré son prénom qui lui avait valu de nombreuses moqueries tout au long de sa scolarité qui, sinon, eut pu passer pour banale et donc parfaite, avait toujours refusé de croire en sa mauvaise étoile. Elle avait poursuivi son chemin avec pour seul objectif de n'avoir pas une vie sereine, tranquille et totalement insipide comme on avait tenté de le lui imposer tout au long de sa prime jeunesse.
L'orphelinat ne prépare pas à l'aventure. Qu'à cela ne tienne... Refusant d'être confiné au banal, dès qu'elle avait été libérée de l'Institut, Pélagie avait agi en conséquence. Après tout, avec un prénom pareil, autant aller dans l'excès. Personne ne serait surpris, non ?
Bon, l'excès avait quand même eu ses limites, notamment financières. On ne peut pas bambocher comme la jet-set quand on n'en a pas les moyens. Pélagie s'était contentée de ce qu'elle avait sous la main : boite de nuit cheap et fêtes étudiantes en tout genre.
Et puis, il avait fallu travailler. Avec une scolarité sans aspérité, ni gloire d'aucune sorte, elle s'était tournée vers la communication. Et contre toute attente, elle s'était révélée plutôt douée. Comme quoi, tout arrive même au plus réfractaire ou au plus médiocre.
Donc, Pélagie, 25 ans, toutes ses dents, et chef de projet junior dans une grosse boite de com', roule à tombeau ouvert à travers la nuit glaciale.
Des lambeaux de brumes rampantes s'attachent aux troncs environnants de la forêt que le bolide traverse. Pour un peu, elle ne serait pas étonnée de voir apparaître un psychopathe avec une hache et un masque de hockey... Elle n'en a cure ! Elle est bien trop rapide pour la moindre attaque de ce genre. Et puis, elle est colère. Très, très colère même ! Alors il ne faut pas la chercher ce soir, parce qu'une Pélagie en colère vaut bien vingt Clarisses, et autant de Mélanies.
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Pélagie aussi !
ChickLitPélagie est une fille énergique et protectrice. Très protectrice ! Surtout quand il s'agit de sa meilleure amie pour la vie, Clothilde. Alors quand Clo se trouve en danger à cause de son cœur d'artichaut, elle n'hésite pas une seconde. Elle fonce ! ...