59 / Le retour d'un amour

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Pélagie ne se retourne pas. Elle savoure la surprise. Écoute les battements affolés de son cœur. Apprécie la vivacité du sang et la chaleur qui l'envahit soudain. Elle n'est pas prête. C'est la seule chose qu'elle sait en cet instant. Elle n'est pas prête à revoir Faust Wagner-Smith sans lui tomber dans les bras. Elle sait que dès qu'elle va poser les yeux sur lui, elle va avoir envie de l'embrasser, de lui crier dessus, de le frapper et de l'embrasser de nouveau. Alors elle reste immobile.

Faust attend que sa beauté du nord se tourne vers lui. Il fixe les quelques boucles de cheveux qui batifolent sur sa nuque. Il a très envie d'y mêler ses doigts, de caresser la peau à découvert, de remonter vers le chignon, de libérer la masse soyeuse et mouvante qui donne à la jeune femme un petit air décalé lorsqu'elle la laisse à son mouvement naturel.

Il n'en peut plus d'attendre. La proximité de ce corps désiré, de cette femme aimée, le rend fébrile et lui fait prendre conscience du manque qu'il tentait d'étouffer en son cœur. Il a été stupide. Miléna a raison. L'orgueil et la peur ne font pas bon ménage. Elles l'ont aveuglé.

Il tend la main, soudain impatient de la toucher, mais se retient juste au moment d'atteindre la naissance de la clavicule. Il doit la laisser réagir. Ne pas presser les choses. Elles n'en seront que meilleures.

Pélagie sent la main qui approche comme si l'air s'était mis à vibrer autour de son cou. Il n'y a pourtant aucun contact. Mais le geste abandonné, avorté, a le pouvoir d'électriser la jeune femme. L'écho des paroles de Faust lui parvient comme le signe d'une arrogance sans nom. Il est en territoire conquis. Croit-il. Pélagie prend conscience qu'elle n'est pas encore vaincue. Qu'il lui reste un petit goût de revanche dans le fond de l'âme. Elle a envie de le rendre fou. Pour le punir.

Elle se tourne lentement et fixe Faust qui ne porte pas de loup.

— Bonsoir, M. Wagner-Smith. Pour répondre à votre question, Héléna de la comptabilité et Justine, chef de projet, étaient les deux candidates les plus réceptives à vos charmes... Mais que nous vaut l'honneur de votre présence en ces lieux ? Je ne fais presque plus partie de l'agence. Si vous cherchez des informations concernant la nouvelle acquisition de vos patrons, il faudra demander à quelqu'un d'autre, dit-elle avec un petit air pincé.

— Je ne venais pas aux nouvelles.

— Ah ! Parfait. Et bien, profitez de la fin de soirée, alors, dit-elle en se retournant pour s'éloigner.

Une main la retient.

— Pélagie... Je suis désolé.

La jeune femme ne comprend pas. Pourquoi être désolé ? Ça n'est pas ce qu'elle lui demande. Ça n'est pas ce qu'elle attend de lui. Dans la lumière tamisée du bar, elle remarque alors les yeux fatigués et la joue... rougie ?

— Pardieu ! Est-ce que vous vous êtes battu ? s'exclame-t-elle en se rapprochant pour effleurer la joue de Faust.

— Pas exactement. Disons que j'ai accepté de recevoir un coup de la part d'une personne que vous ne rencontrerez probablement jamais.

Les doigts de Pélagie ne quittent pas le visage de Faust. Ils parcourent la mâchoire pour remonter vers le front. Faust frémit sous la caresse délicate. Il attrape les doigts fins aux ongles peints d'un beau bleu. Les approche de sa bouche et y dépose un baiser.

— Pourquoi ce silence ? demande-t-elle simplement sans le quitter des yeux.

— Pourquoi le tien ?

— J'ai posé la question la première.

— Très bien. Parce que je suis un idiot ?

— Un idiot ? C'est tout ? Pas de fiancée américaine cachée sous le tapis ? Pas d'injonction familiale ? Pas de malédiction ancestrale ? Pas de secret honteux à révéler ?

À l'énumération, Faust sourit. Il attrape le joli visage de Pélagie et en retire le loup qui rend ses yeux encore plus impressionnants. Puis il l'embrasse sans rien répondre.

— Tu crois que je vais te laisser en paix ? Il faut répondre, lance-t-elle en se détachant - à regret, mais ça il n'a pas besoin de le savoir - de ses lèvres.

— Rien de tout ça dans ma vie, Pélagie. Juste un « poney » à poil long qui semble avoir un faible pour les femmes en robe de soirée qui lui tombe dessus.

— Ah ! C'est un problème.

— Vraiment ? questionne Faust en l'embrassant dans le cou.

— Je ne suis pas partageuse. Si je dois donner mon amour au clébard, il n'y aura rien pour toi. C'est sûr.

— Vraiment ? ponctue encore Faust en l'embrassant de l'autre côté du cou.

— Sûre.

— Je vais devoir le céder à un centre équestre, alors, dit-il le plus sérieusement du monde.

— À moins que...

— À moins que ?

— Ça dépendra de la taille des cadeaux que tu vas me faire pour noël...

— Femme vénale, murmure-t-il en l'embrassant passionnément.

— Tu n'as pas idée, répond-t-elle en lui rendant son baiser.

— Merde ! s'exclame Faust en l'écartant brutalement de son corps. J'ai oublié les gaufres !

— Les gaufres ?


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