Pélagie aussi !

55 / Miléna ne s'en laisse pas compter

La chaleur du salon des Werther contraste avec la froideur de la demeure des Wagner-Smith. Ici, c'est une avalanche de décorations de noël, de couleurs et de senteurs qui font penser aux vacances, aux descentes en ski, au chocolat chaud bu les yeux dans le feu de cheminée. Le bien être d'une maison calfeutrée, alors que dehors le vent souffle, et la neige tourbillonne.

Un énorme sapin trône dans un coin du salon. L'étoile au sommet chatouille le plafond et certaines branches ploient sous les guirlandes et les boules. Une montagne de petits paquets s'amoncelle à son pied.

— Je m'excuse, j'ai déjà tout préparé pour la visite des enfants de l'Institut demain. Je n'avais pas prévu...

— C'est encore mieux, Tilda. J'ai l'impression d'être un gosse et d'attendre l'heure d'ouvrir enfin les paquets... et puis, il va falloir nous habituer, hein... dit Sieg en souriant.

L'aîné des frères Wagner-Smith a cela de miraculeux qu'il ne reste jamais très longtemps en colère. Il a appris à souffler sur les nuages pour vivre le bonheur qu'il éprouve auprès de ceux qu'il aime. Et puis, ce soir, il a envie d'être heureux. Il va être papa. Il va avoir un petit gars dans les pattes qu'il regardera grandir, les yeux émerveillés.

— Est-ce que je rêve où ça sent les gaufres ? s'exclame alors Faust en se frottant les mains en souriant.

— J'en ai fait quelques une cet après-midi en prévision de notre retour, ce soir... murmure Tilda Werther en rosissant.

Par cet aveu, elle confirme que les soirées de Noël chez les Wagner-Smith sont rarement rassasiantes. Il est de notoriété publique que Dieter et Louise mangent peu et estiment que leurs convives devraient en faire autant.

Or, les Werther sont tous les deux de bons mangeurs. Petits et enrobés plus que leur médecin ne le voudrait, ils sont l'image parfaite des grands-parents gâteaux qui, dès qu'ils le peuvent, glissent des douceurs dans les poches des enfants. Miléna, qui ne leur ressemble pas du tout, a été élevée ainsi sans jamais prendre un gramme. En fait, Miléna est le portrait craché de sa propre grand-mère maternelle, Idunn, une beauté importée directement de suède par son grand-père, marin au long court.

— Nous pourrions en faire d'autres et se faire un vrai festin ?! propose M. Werther avec envie.

— Je suis d'accord pour m'occuper de faire des gaufres, mais à une condition, dit alors Miléna qui s'est relevé du fauteuil où elle s'était laissée tomber en arrivant.

— Une condition, mon amour ?

— Faust doit inviter son amie à venir nous rejoindre.

— Si tard ? s'étonne Mme Werther. Ma grande, cette jeune fille, si elle existe bel et bien... je sais, tu l'as vue de tes yeux, mais j'ai quand même un doute sur la pérennité de la chose connaissant Faust Wagner-Smith, grand séducteur devant l'éternel... Si cette jeune fille existe, donc, elle doit être, soit avec sa propre famille, soit en train de dormir du sommeil du juste !

— Même si je suis vexé que vous me prêtiez une telle réputation, Mme Werther, je me vois obligé d'abonder dans votre sens. La jeune fille en question existe bel et bien. Toutefois, elle n'est pas mon « amie ». Elle était ma collègue avant que mes boss ne rachètent sa boite et ne la vire...

— Ah ! se contente de dire Sieg.

— Ah ! Comme tu dis, mon frère... si on parlait d'autre chose.

— Pas question, lâche Miléna en croisant les bras sur sa poitrine. Mlle Cervin est au club Barcarolle ce soir. Elle n'est pas dans sa famille. Elle travaille. Elle organisait un évènement pour un produit mystère. Mais j'imagine que toi, tu sais de quoi il s'agit ?

— Oui, mais il vaut mieux que tes chastes oreilles l'ignorent.

— Mes chastes... ? Oh ! Mais de quoi peut-il bien s'agir ? s'exclame-t-elle en riant. Je vais chercher toute la soirée, maintenant !

Heureux de voir un si beau sourire sur le visage de sa femme, Siegfried l'embrasse en lui murmurant qu'il s'occupe de son frère. La jeune femme le serre dans ses bras et rejoint ses parents en cuisine.

— C'est quoi le produit ? demande ingénument Sieg en se penchant sur son frère, tout en buvant une gorgée de vin.

— Une bite de schtroumpf.

Sieg recrache brutalement sa gorgée de vin, constellant sa chemise de belles tâches.

— Tu as dit quoi ? s'exclame-t-il en tentant de nettoyer sa chemise avec la pochette de son costume.

— Tu as bien compris. Il s'agit d'un vibro de luxe... bleu.

— Nom de dieu ! Je ne veux même pas savoir comment cette nana a réussi le tour de force d'organiser une campagne de com' pour un produit pareil...

— De main de maître...

Siegfried éclate cette fois de rire devant l'allusion non dissimulée par la réplique de son frère. Puis il le laisse seul pour aller se changer.