54 / La pureté du sang

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— Tu as une nouvelle à annoncer ? s'interroge le père avec un air sévère. As-tu réussi finalement à obtenir le contrat qui te donnait du fil à retordre ?

— Il ne s'agit pas d'affaires, père. Il s'agit de famille.

— De famille ? répète la mère qui fixe son regard sur Miléna en pinçant les lèvres.

Personne ne sait avec quelle constante ardeur elle a tenté de convaincre son fils de divorcer pour prendre une autre épouse quand elle a su que celle-ci était stérile. C'est un secret entre lui et elle. Une faille qui le contrarie, mais dont il ne parlera jamais. Il ne veut pas blesser sa femme.

— Oui, de famille, mère. Vous allez être heureuse. Nous allons accueillir un petit garçon dans notre foyer très bientôt. Quand arrive-t-il, Léna ?

— En février. Il arrive en février, normalement.

— Il arrive en février ? répète la mère de Siegfried en se dressant, raide comme la justice, et le visage décomposé. Que voulez-vous dire par là ?

— Et bien qu'il arrive en février, répète son fils avec un œil froid.

Il sait très bien que ce qui fait se lever sa mère et se raidir son père. L'adoption d'un enfant est pour eux une injure faite à leur nom, à leur sang. Siegfried s'en balance. Le bonheur de Miléna est bien plus important à ses yeux. Le bonheur de Miléna et le sien.

Ils ont vu le bébé plusieurs fois déjà. Il est magnifique et sera leur trésor. D'où qu'il vienne et quelle que soit sa couleur de peau, en l'occurrence, mate, puisqu'il est le fruit d'une union mixte non consentie. Le fruit d'un viol. Non désiré. Abandonné. Une étoile perdue et pêchée par Miléna.

Louise Wagner-Smith se rassoit, blême, tandis que tout le reste de l'assemblée félicite les futurs parents. Faust a été le premier à s'exclamer de joie. Maintenant, il regarde ses parents qui seuls restent à l'écart. Sa mère se lève pour rejoindre la cuisine. Il la suit.

***

— Pourquoi n'es-tu pas capable de te réjouir pour Sieg ?

— Me réjouir ? Me réjouir de quoi exactement ? Qu'il nous oblige à accueillir un métèque dans notre famille ? Un gosse qui ne sera jamais reconnaissant. Un parasite qui n'a rien à faire parmi nous !

La réponse de Louise Wagner-Smith brule comme une balle en plein cœur. Elle choque Faust. Il sait quels genres d'idées ses parents ont. Depuis toujours. Notamment concernant les étrangers. Mais l'entendre de la bouche de sa mère en cet instant, est une claque à laquelle il ne s'attendait pas.

— Tu te rends compte de ce que tu viens de dire ? Si jamais tu ne fais même qu'émettre une infime partie de cette diarrhée répugnante qui te sert de pensée devant Sieg, Miléna ou cet enfant, mère, tu ne perdras pas seulement ton aîné. Tu me perdras aussi. J'ai déjà du mal à rester dans la même pièce que toi en cet instant !

— Ne parle pas à ta mère sur ce ton !

Le père de Faust vient d'entrer. Il fusille son cadet du regard.

— Tu as raison. Je lui dois du respect... Ah ! Mais non ! En fait ! Pourquoi je serai respectueux alors que vous ne l'êtes ni l'un, ni l'autre.

La gifle de Dieter part spontanément et frappe Faust avec violence. Ça n'est pas la première fois que ça arrive. C'est juste la dernière. Le fils fixe le père avec une haine sans nom.

— Vous me rendez service. Je n'aurai plus besoin d'inventer d'excuses pour ne plus jamais remettre les pieds ici. Restez bien au chaud avec vos idées à la con. Et si elles pouvaient vous étouffer par la même occasion...

La main de Dieter se dresse de nouveau, mais cette fois Faust l'arrête.

— Pas cette fois, Père. Et estime-toi heureux que je ne te rende pas la politesse, crache Faust en rejetant violemment le bras paternel avant de sortir en claquant la porte de la cuisine au point de faire trembler les murs alentours.

C'est au moment où il part vers le salon qu'il voit Miléna, le visage figé par la blessure que viennent de lui infliger les parents de son époux. Une de plus. Pas la première. Faust est désemparé. Il aurait tellement aimé que cette femme si magnifique, avec ce cœur si grand et généreux, ne soit jamais frappée par une telle souffrance. Car elle souffrait déjà infiniment de ne pouvoir concevoir un enfant. Il s'approche de sa belle-sœur et la prend dans ses bras.

***

— Faust ? Tu sais que c'est ma femme, n'est-ce pas ? dit Siegfried, amusé, en les découvrant dans les bras l'un de l'autre.

Et puis Miléna relève son joli visage ravagé de larmes.

— Léna ? Faust ? Mais qu'est-ce qui...

Il ne finit pas sa phrase. Son regard vient de se poser sur celui de son père et de sa mère, debout sur le seuil de la cuisine. Froid. Fermé.

— Sieg. Sors Miléna d'ici. Ramène-là avec ses parents, dit alors Faust en posant une main apaisante sur le bras tétanisé de son frère aîné.

Il a vu ses poings se serrer, et sa rage naître. Le cadet sait que son aîné n'est pas dupe et qu'il est sur le point de voir rouge. Mais ça n'est pas le moment. Miléna a besoin de réconfort et de la chaleur d'un foyer aimant. Le sien. Celui de ses parents.

Sans un mot, Siegfried prend sa femme par la main et l'entraîne loin du mal qui ronge sa famille depuis des générations. Un mal qui a entraîné des guerres et des millions de morts. Un mal que certains estiment ne plus avoir à dissimuler, manifestement.


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