6 / Le cerbère de la porte

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— Vous êtes sûr de ne pas vouloir porter plainte, mademoiselle ?

Clotilde ne répond pas immédiatement. Les bras de Pélagie autour de ses épaules, elle contemple d'un œil humide le bel interne qui s'occupe de ses blessures, sous le regard consterné de son amie. C'est pas vrai ! Déjà ? Clo est indécrottable ! C'est pas croyable ! Même le moral en berne, l'œil au beurre noir, l'arcade fendue et la joue enflée, elle est capable de tomber sous le charme d'un mâle ! En plus, celui-là se préoccupe d'elle...

— Non. Il vaut mieux pas, répond Pélagie à sa place avec un ton rogue qui fait frémir l'interne.

Forcément, il se méprend. Il croit sans doute que c'est la folle aux yeux d'hiver qui est à l'origine des blessures, peut-être ?

— Disons que celui qui a fait ça a déjà payé pour ce qu'il a osé faire à mon amie.

Cette fois, l'interne suspens son geste. Il pose le coton imbibé de désinfectant.

— Il faut que je m'inquiète ? Il y a un mort quelque part ?

— Un mort ? Plusieurs... commence Pélagie avec un sourire terrifiant de satisfaction. Sa platine, très certainement. Et sa télé aussi. Et peut-être bien l'ordi portable sur la table. Ah oui, et ses fringues, son canapé, sa vaisselle, son frigo, ses rideaux... énumère Pélagie en faisant semblant de compter sur ses doigts.

— N'en jetez plus... c'est que je le plaindrais presque...

— Ne faites pas ça, dit alors Clotilde avec un voix fluette. Pélie est un dragon... mais elle a eu raison. C'était la meilleure manière de lui faire payer... il était comme fou... et il m'a menacée avec un couteau...

— J'aurais dû le tuer... ou au moins le castrer, cet enfoiré, siffle Pélagie entre ses dents.

— C'est bien que vous ne l'ayez pas fait. Ça m'aurait embêté de vous voir partir entre deux gendarmes, dit l'interne qui a repris avec minutie son travail de désinfection de l'arcade sourcilière de Clo avant de pouvoir lui faire des points de suture.

Trois points de suture ! Trois ! Pélagie serre les poings et les dents. Elle ne fait même pas attention à l'intérêt que lui porte l'interne. Elle est encore trop furieuse.

— Dis, Clo, je peux te laisser ? Je vais voir si je peux rattraper le désastre de ma robe... dit-elle.

Elle a surtout besoin d'un café noir même dégueulasse comme le sont ceux des distributeurs automatiques des hôpitaux. Elle est frigorifiée. Elle n'a pas osé remettre sa belle pelisse sur sa robe tachée.

— Elle est entre de bonnes mains, répond l'interne en souriant.

Il bouffe à tous les râteliers, celui-là ! Il va falloir qu'elle l'ait à l'œil... Mais bon, Clotilde lui fait discrètement le signe de filer, alors elle file.

Le café est tel qu'elle l'a imaginé. Dégueu. Alors qu'elle se brûle avec une seconde gorgée en se dirigeant vers la salle d'attente, elle manque de s'étouffer et en recrache une partie sur le devant de sa robe.

— Merde ! s'exclame-t-elle bruyamment devant l'œil inquisiteur de l'infirmière de garde et du couple qui vient d'entrer pour un accouchement prématuré.

Mais Pélagie s'en fiche. L'inconnu est là. Tranquillement assis sur l'un des sièges inconfortables de la salle d'attente des urgences. Il a levé les yeux de son portable en entendant l'interjection de la jeune femme et sourit. « Mais c'est quoi son problème à ce type ? » pense aussitôt Pélagie. Pourquoi il sourit comme ça ? C'est l'assureur de tocard ou quoi ?! Ça serait pas de bol, remarque...


Pélagie aussi !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant