Pélagie aussi !

13 / Les comptables ne pensent qu'à ça

Pélagie aborde sa nouvelle journée plus reposée (elle a dormi douze heures) et pleine d'enthousiasme. Aujourd'hui, elle reçoit un nouveau produit. Grimaud a déjà rencontré le client deux fois. Il a été difficile à convaincre. Il cherchait une agence capable de lui faire un lancement avec des idées originales qui lui permettrait de se démarquer sur le marché.

Pélagie ne sait pas grand-chose du produit lui-même. Son boss lui a dit vouloir attendre la confirmation de l'accord pour lui confier le dossier, et les informations qui vont avec. Procédé plutôt inhabituel. Mais bon, dans la com', il faut parfois s'attendre à tout... Elle a déjà organisé un évènement spectaculaire avec des acrobates, des montreurs d'ours et autres trapézistes pour le lancement d'une... machine à calculer plus performante...

— Salut, Pél ! Dis-donc ! Il est chaud bouillant ton stagiaire !

La remarque vient d'Héléna de la compta. Pardon, du service finances. Une vraie pimbêche avec des jambes à tomber, et une poitrine qu'elle met sous le nez de chaque mâle qui croise son chemin. Pas une amie. Ni même une copine. Tout juste une collègue.

— Je ne vois pas, répond mollement Pélagie debout devant la machine à café en priant que le café coule plus vite dans sa tasse.

— Rhooo ! Arrête ! Ça doit chauffer sévère au royaume de la baise.

Ah ! Oui. Héléna, en plus d'être assez vulgaire physiquement parlant, l'est aussi verbalement. Pélagie se demande brièvement si elle parle comme ça avec ses autres collègues de bureau. Ça doit être sacrément pénible de bosser tous les jours avec une obsédée du cul. Elle soupire. Le problème, c'est qu'elle ne peut pas se la mettre à dos. Tout le monde sait que « le comptable » se la tape. Et pour parler franchement, Pélagie aimerait autant qu'il ne mette pas le nez dans les dépenses de son département en représailles d'une remarque malvenue de sa part. Elle l'a déjà vu pinailler sur des notes de frais de quelques euros... C'était pas joli, joli...

— Pas vraiment mon type, finit-elle par dire en portant sa tasse à ses lèvres.

— Pas ton type ?! Et ben ! Je sais pas ce qu'il te faut. Moi, j'en ferais bien mon goûter, mon dîner et même plusieurs de mes nuits... il a l'air torride.

— Torride ? répète Pélagie, incrédule.

Elle n'avait pas vu Faust comme torride. En même temps avec un prénom pareil... il pouvait aussi bien être le diable en personne.

— Héléna ?! Je me sens offensé ! Moi qui croyais que tu n'avais d'yeux que pour moi ?! s'exclame alors Fred qui vient d'apparaître près de Pélagie.

Aussitôt Héléna Mornier se renfrogne et hausse les épaules avant de s'en aller.

— Merci, Fred.

Frédéric est l'ennemi juré d'Héléna, dont il critique le travail plus que sommaire si personne ne passe derrière elle. Régulièrement, il va se plaindre directement au « comptable » qui ne dit rien et rectifie les erreurs des bilans ou études demandées. Héléna a pourtant essayé de le séduire comme elle fait pour chaque mâle de cette boite, mais ça n'a pas marché.

Fred apprécie un certain type de femmes. Dans le genre à ne décocher un sourire que les jours de grand vent et ne paraître aimable que la semaine des quatre jeudis. Il les aime froide et impénétrable. Il les aime dominatrice et difficile à dompter.

— Je t'ai déjà dit que tu pouvais y aller avec cette cruche.

— Je n'ai pas ce qu'il faut dans le pantalon.

— Pffff. Avec ce qu'elle colporte sur ton stagiaire, je lui collerais une plainte pour harcèlement. Ça lui ferait les pieds, et les boss la vireraient peut-être enfin.

— Il ne la dégageront jamais. « Le comptable » est un pote à eux.

— Tu sais qu'il a un nom, n'est-ce pas ?

— Je sais, mais j'ai peur de le prononcer trois fois de suite et de le voir apparaître devant moi.

Fred éclate de rire.