29 / Un penchant certain...

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— Un beau brun ? Je ne vois pas de quoi tu parles.

— J'en étais sûre ! Allez ! Reconnais-le ! Faust t'a ensorcelé...

— J'ai une tête à m'appeler Marguerite ?

— Pourquoi tu parles de Marguerite ? Elle a quoi à voir avec les moules, la fromagère de la rue Basse ?

— Je ne parle pas de la fromagère... Marguerite, c'est la nana de Faust dans l'histoire d'origine.

— Oups... je me disais aussi... Mais bon, visiblement, même si tu ne t'appelles pas Marguerite, le beau Faust ne te laisse pas indifférente.

Pélagie hausse les épaules sans décoller son front du comptoir cependant.

— Hé ?! Il a été méchant ?

— Il m'énerve. Est-ce que ça compte ?

— C'est un début.

— Un début de quoi ? Un début de comédie italienne ? On n'est pas au cinéma, et on n'est pas dans le sud, là ! On est à Lille, morbleu ! éclate Pélagie en se redressant brusquement en tapant du poing sur la table.

Ce qui fait sursauter Clotilde qui retient de justesse son assiette de madeleines. Brièvement, elle se demande pourquoi elle juge important de sauver sa catastrophe culinaire.

— Mouais... en attendant, toi, tu n'es pas indifférente, dit-elle en posant l'assiette qu'elle a failli faire tomber.

— De toute façon, on s'en fout de ce que je pense de lui. Il est vieux. Et dans une semaine, il se tire ailleurs. Si possible, loin. Très loin. En plus, sincèrement, j'ai d'autres chats à fouetter. Entre la boite qui va peut-être être rachetée ! Quand je pense que cette campagne pour ce vibro de luxe est peut-être ma dernière ! Et ma voiture en miette ! Sans parler de ma meilleure amie qui a failli y passer à cause de l'« antéchrist » ! Et puis, maintenant, ça... finit Pélagie en abattant la lettre sur le comptoir près d'elle.

— Je croyais que c'était « tocard », le surnom de Damien, dit Clotilde en s'approchant de la lettre.

— Tocard, n'est plus approprié après ce qu'il t'a fait et ce qu'il a fait à Mauricette.

— Ton rapport à ta voiture est très étrange. Tu en as conscience, n'est-ce pas ? murmure Clotilde en commençant à lire.

Puis, le silence s'installe. Pélagie observe le joli visage de son amie refléter la surprise. Le rond de sa bouche qui se forme pour laisser échapper un « ohhhh » étonné, un rien curieux.

— Ben, merde, alors ! Tu crois que c'est un membre de ta famille ? Genre un oncle d'Amérique ? Ou un truc du genre ? finit par dire la blonde.

— Qu'est-ce que j'en sais ? Mais ça ne me dit rien qui vaille.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Je ne sais pas. C'est... trop froid. Trop officiel. Genre, Mademoiselle Cervin vous êtes priée de venir au rendez-vous suivant pour accepter les dettes d'un parfait inconnu qui se révèle être votre géniteur...

— Tu penses qu'il s'agit de ton père ?

— J'en sais rien.

— Mais tu vas y aller quand même ?! Hein ! Tu ne peux pas ne pas y aller !

— Pourquoi, Clo ? Après tout, si c'est un parent, ça veut dire que cette personne savait où j'étais depuis toutes ces années sans jamais éprouver le besoin de se manifester. Et maintenant, il faudrait que j'accoure parce qu'elle appelle.

— Peu importe. Tu dois y aller, Pélie.

Pélagie observe Clotilde dont le ton est devenu très sérieux. Limite tranchant. Un truc qui n'arrive pas souvent, et très certainement jamais avec elle.

— Clo ?

— Tu dois y aller. Parce que ça ne serait pas juste, sinon.

— Pas juste ?

— Tu sais combien de fois, j'ai rêvé de recevoir un truc de ce genre ? Ou de voir débarquer un étranger comme le père de Thècle ? Mais ça ne m'arrivera jamais, Pélie. Jamais. Ils sont tous morts. Alors, tu dois y aller. Peut-être que ça ne collera pas. Peut-être que c'est un enfoiré. Mais tu dois y aller pour savoir. Parce que si ça se trouve, il y a une raison à tout ça...

— Une raison ? Clo... Tu sais. Quand on abandonne un enfant, la seule vraie raison, c'est l'égoïsme.

— Tu dis n'importe quoi, Pélagie ! Il peut y avoir un milliard de raisons pour abandonner un enfant ! Et tu le sais ! Un milliard de raisons qui déchirent le cœur de celui qui abandonne ! Ne fais pas celle qui refuse de comprendre. Ce serait tellement stupide de ta part !

La véhémence de Clotilde, son visage rubicond, son expression de colère, tout pousse Pélagie à se rapprocher de son amie. À la prendre dans ses bras. Parce qu'elle a raison. Ça ne serait pas juste, si elle ignorait ce rendez-vous. Malgré sa colère face à l'injonction, sa peur aussi... elle doit y aller.

— Promet-moi d'y aller.

— C'est bon, Clo. J'irai. De toute façon, c'est sans doute rien. Pourquoi est-ce que l'un de mes géniteurs se manifesterait aujourd'hui... ou bien une vieille tante ? Il s'agit sans doute d'autre chose. J'appellerai Mère Marie-Hortense demain. Elle doit savoir, elle. Elle sait toujours tout.


Pélagie aussi !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant