8 / Vue sur la neige

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Pélagie regarde sa robe, consternée. C'est son teinturier qui va se marrer... Elle la plie soigneusement, même si, sincèrement, il est peu probable qu'elle puisse la remettre un jour. L'espoir fait vivre, dit-on. Puis, elle se contemple brièvement dans le miroir du dressing. En sous-vêtements en dentelle, mais chaussée de grosses chaussettes de montagne, elle attrape le pyjama le plus chaud qu'elle trouve et l'enfile à la hâte.

La jeune femme n'a pas honte de son corps. Même s'il n'est pas parfait, elle se sent bien dedans. Sa poitrine manque un peu d'ampleur, mais à contrario, ne la gêne pas quand elle doit faire du sport. Elle a un fessier trop large pour entrer dans un 38, mais elle a de longues jambes bien galbées et une taille fine. Un long cou de girafe parfait pour se la péter style princesse en soirée avec un beau chignon et de belles boucles d'oreille. Des cheveux  châtain clair sur lesquels personne ne s'extasie. Son visage n'a pas de particularité. Un ovale avec des pommettes normales et des lèvres dans la moyenne. Un petit menton sans prétention. Son nez est un peu long et s'agrémente de quelques taches de rousseur. Mais, il y a ses yeux. La couleur indéfinissable de ses iris. Ce gris tantôt orage, tantôt argent liquide.

Elle se dit que si un jour, elle rencontre quelqu'un qui a les mêmes, il s'agira probablement de quelqu'un de sa famille. Il ne peut en être autrement. Ça n'est jamais arrivé en 25 ans. Personne qui lui ressemble un peu. Personne pour revendiquer cette enfant abandonnée aux portes de l'Institut peu de temps après sa naissance. Ils étaient peu comme elle, à avoir été rejetés. La plupart des protégés de mère Marie-Hortense étaient réellement orphelins.

En fait, si elle y réfléchit bien, il n'y avait eu que Thècle et elle à avoir été abandonnés, d'où sa décision d'en faire son petit frère, malgré leurs différences physiques évidente. Le garçon, deux ans plus jeune qu'elle, avait la peau mate des métisses, les yeux vert émeraude et une tignasse noire aussi indisciplinée que lui. Son corps athlétique se contorsionnait à volonté pour le plus grand plaisir des plus jeunes qu'il faisait rire avec ses grimaces et ses acrobaties.

Thècle avait eu plus de chance que Pélagie. Un jour, un homme était venu pour lui. Il le cherchait depuis plusieurs années. Depuis qu'il avait appris qu'il avait eu un fils et que celui-ci avait été abandonné par sa mère sans qu'il n'en ait rien su. C'était un miracle selon Mère Marie-Hortense.

Pour Pélagie, il n'y en avait pas eu. Personne n'était venu. Elle n'avait pas été jalouse de son presque frère, avait inventé mille raisons de ce silence, involontaire forcément, de ses parents. L'hypothèse qui avait vécu le plus longtemps avait été celle du couple d'aventuriers, genre Indiana Jones, obligés de se séparer d'elle pour la protéger, et morts durant leur périple avant d'avoir pu la récupérer. C'était une belle histoire qui lui correspondait. Avec de tels parents, elle se sentait obligée d'être forte et aventureuse. Les gènes ne pouvaient mentir...

Pélagie soupire. Il est plus probable que sa mère ait été une gamine incapable d'assumer sa naissance. Bien plus probable. Mais bon. La jeune femme continue de penser au fond d'elle, que des parents aventuriers, ça collait drôlement bien aussi...

Pélagie s'approche de l'une des fenêtres du salon. Deux ans plus tôt, elle avait eu une chance incroyable de trouver cet appartement bien situé et assez grand pour qu'elle ne s'inquiète pas d'y héberger Clotilde. Elle n'aurait jamais cru que garder le contact avec Mère Marie-Hortense put lui être aussi profitable, car c'est elle qui avait trouvé cet endroit merveilleux. Elle avait vaguement évoqué un des généreux donateurs de l'Institut, qui voyait là l'opportunité d'aider encore plus les orphelins en ne demandant qu'un loyer ridicule. C'était inespéré, Pélagie n'avait pas regardé à deux fois et ne regrettait rien. Certains de ses collègues lui enviaient même ses 70 m² au troisième étage d'un immeuble de charme, avec vue sur les Jardins Vauban à deux pas de la vieille ville et de leur agence. Inespéré et fabuleux.

En passant, elle jette un œil à Clotilde qui s'est endormie enroulée dans le plaid du canapé. On dirait une gamine. Hier... enfin, non... à l'aube, quand elles sont enfin arrivées la jeune femme a refusé de prendre la chambre. Pélagie n'a pas eu la force de se battre, elle l'a laissée s'écrouler sur le vieux canapé, pour aller grappiller elle-même quelques heures de sommeil avant de partir travailler.

Elle doit débriefer la soirée d'hier avec son équipe. Vu qu'elle n'a eu aucun message urgent pendant son périple avec Clotilde, elle en a conclu que tout s'était bien passé. Cependant, il lui faut des détails et s'assurer que la suite du plan com' sera à l'aune de la soirée : une réussite.

Pélagie sourit en constatant que la neige s'est invitée après qu'elles soient rentrées. Clo va être contente. Son amie adore les noëls enneigés. Avec les vitrines et les rues illuminées, les sapins surchargés et les cadeaux dans les chaussettes. Il faut espérer que ça tienne jusque-là. Il reste un peu moins de trois semaines avant les fêtes de fin d'année. Il faudrait sans doute un miracle... ou des tempêtes successives et un froid polaire. Pas sûre que Pélagie en ait envie, elle. Elle frémit en resserrant les pans de son haut de pyjama. Allez, zou ! Au lit !


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