28 / La vie est-elle une madeleine ratée ?

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Inconsciente de ce qui se joue ce soir pour Pélagie – pas sûr que Pélagie elle-même le sache vraiment d'ailleurs -, Clotilde l'attend debout dans l'entrée, les cheveux disciplinés en un jolie chignon flou, coiffée d'un bonnet de père noël, un grand sourire aux lèvres. Elle porte un tablier à volants rouge et vert so kitch, et tient une assiette où s'élève un petit monticule de madeleines fraîchement sorties du four.

Si elle n'était pas vêtue d'une salopette XXL et d'un tee-shirt blanc assez court pour que ses flancs et sans aucun doute son nombril, soient à découvert, elle aurait pu passer pour la parfaite femme d'intérieur.

Pélagie ne peut s'empêcher de sourire et oublie un instant la lettre qu'elle tient à la main. Sans un mot, elle attrape l'un des petits trésors dorés et l'avale aussitôt.

— Espèce de gourmande ! Mâche au moins ! Attends, je t'apporte un verre d'eau, lance Clotilde en se dirigeant vers la cuisine, son assiette toujours en main.

— Putain ! Apporte un seau ! T'as mis quoi dans tes madeleine, Clo ! s'écrie brusquement Pélagie en se ruant comme une folle sur le robinet d'eau.

— Ben, rien de spécial. Au contraire... j'ai suivi la recette... répond-t-elle en s'arrêtant pour scruter ses madeleines comme si quelqu'un avait eu la méchante idée de les échanger.

— Vraiment ?

— J'ai juste substitué un truc. Mais rien de grave ! C'était kif-kif bourricot ! Je t'assure !

— C'est quoi le truc que tu as substitué ?

— Le poivre.

— Le quoi ?

— Le poivre.

Pélagie, qui s'est assise au comptoir de la cuisine pour se remettre de son émotion culinaire inattendue, pose son front sur la surface en bois et soupire.

— Clo. Je ne suis pas une super pâtissière, mais je suis à peu près sûre qu'il n'y a pas de poivre dans la recette des madeleines.

— Dans celle-là si ! s'exclame Clotilde en brandissant du tablier la recette en question pour montrer à son amie.

— Poivre Timut ? lit Pélagie dans la liste des ingrédients.

— Voui. Mais comme tu n'en avais pas, j'ai pris le normal.

Et voilà ! Tout est dit ! Cet incident est la grande spécialité de Clotilde. Le « je remplace un ingrédient par un autre ». Parfois, ça passe sans problème. Mais parfois non. Surtout quand elle se met à faire dans l'exotique.

— Pourquoi tu fais cette tête, c'est si raté que ça ? demande-t-elle en grignotant un petit bout d'une madeleine intacte.

Son visage au teint pâle de blonde vire au pourpre. Elle grimace, se retient de tout cracher et avale difficilement. Elle boit ensuite cul-sec le verre qu'elle voulait donner à Pélagie.

— AHHH ! Mais c'est infect ! Moi qui voulais te faire plaisir pour te remercier !

— Laisse tomber Clo ! C'est l'intention qui compte... et puis, ça donne à ma journée une petite touche finale ... la cerise sur le gâteau en quelque sorte.

— C'était si terrible au boulot ?

— Non... mais tu vois, en ce moment, parfois, j'ai l'impression que quelqu'un, là-haut s'amuse à substituer les ingrédients originaux de ma vie par d'autres...

— Mais non ! Pélie, ta vie n'est pas une madeleine ratée... tu as une vie super ! Tu es super ! Pour ta voiture, ne t'en fais pas, j'ai des économies et je vais t'aider. Ça ne sera que justice. Quant à tocard, il a intérêt à se calmer parce que sinon, je porte plainte... je sais que tu ne veux pas que je le fasse en vrai, mais il est dangereux ce type... je me demande comment j'ai pu...

— Clo ?

— Oui ?

— Je t'aime.

— Je sais. Moi aussi, je t'aime Pélie. Mais je me demande, là... comme ça... ton coup de blues... il n'aurait rien à voir avec un certain beau brun de ma connaissance ?

La question se pose. Mais pas seulement celle-là.



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