Pélagie aussi !

39 / Évidence et aveuglement

Arrivé en bas de l'immeuble, Faust se demande pourquoi il s'est mis en colère. Lui qui passe pour un type patient et conciliant d'ordinaire. Et surtout, efficace. Or, la colère n'a rien d'efficace. Elle génère beaucoup d'énergie, peut servir de moteur, mais ne peut en aucun cas donner de réponse à un problème. Il le sait bien pourtant ! Il aurait dû temporiser. Il aurait dû poser les bonnes questions au lieu de prendre la mouche pour des pacotilles. Il n'aurait pas dû réagir au chiffon rouge que la jeune femme agitait devant lui. Et pourtant. Et pourtant, c'est exactement ce qu'il a fait.

Comment Pélagie Cervin arrive-t-elle à le faire sortir de ses gonds sans arrêt ? Elle a vraiment un don. C'est indéniable. Parce qu'elle tape toujours là où ça fait mal ? Parce qu'elle met à mal sa supposé supériorité ? Parce qu'elle ne lui accorde pas sa sympathie comme aux autres ? C'est peut-être ça... Il a envie de lui plaire et n'y arrive pas.

Foutredieu ! Mais il déraille ou quoi ?! Il ne manquerait plus que ça !

***

Pélagie voit Faust disparaître d'un pas décidé dans la rue en contrebas. Elle ne sait pas pourquoi elle le repousse autant. Pourquoi, elle le fait sortir de ses gonds de manière intentionnelle. Il est charmant et méritant. Et il veut sincèrement l'aider.

Sincèrement ? Elle n'en est pas si sûre. Il y a quelque chose qui cloche avec lui, mais elle n'arrive pas à mettre la main dessus. Et tant qu'elle ne sait pas, elle le tiendra à distance. D'autant que cette histoire d'ange gardien la travaille. Pas que ce soit gênant en soi d'avoir quelqu'un qui veille sur vous, mais elle doit savoir qui est à l'origine des bienfaits. Elle doit le savoir pour avancer. Pour se mettre en colère et hurler. Pour tenter de comprendre et croire en l'avenir.

Elle se doute que Mère Marie-Hortense a les clés du mystère. Personne n'aurait pu veiller sur elle sans qu'elle soit au courant, c'est évident. Mais acceptera-t-elle de lui révéler ses secrets ? Pas si sûre... Mais qui ne tente rien n'a rien ! Pélagie ira dès demain voir la directrice, et la semaine prochaine, elle rendra visite à Maître Solliver !

Mais ce soir, c'est le début du week-end. Ce soir, elle sort. Elle a promis à Clo et Nicolas de les rejoindre à une soirée caritative organisée par des gens friqués au profit de malheureux orphelins, malades, prisonniers (cocher la case correspondante). Elle va leur en mettre plein la vue !

***

Lorsque Pélagie Cervin arrête son bolide devant le jeune voiturier – sans doute un étudiant -, elle voit parfaitement son sourire. Elle entre dans le jeu en descendant telle une princesse en visite protocolaire. Puis, elle lui lance les clés avec un sourire étincelant.

— Attention à ne pas me rayer mon bijou ! Hein !

— À vos ordres, ma reine !

Le garçon n'est pas stupide, il sait qu'elle se la joue grand seigneur avec sa coiffure de princesse, sa robe vert émeraude et son étole ivoire. Une belle imitation de fourrure, entre nous. On n'y voit que du feu. Elle va devoir faire attention à toutes les PETA de l'assemblée. Il y en a toujours dans ce genre de raout.

L'étudiant rigole en s'engouffrant dans l'habitacle pour aller garer Zébra entre un 4X4 Porsche et une Bentley aux lignes aussi fluides que puissantes, laissant sa propriétaire monter seule les quelques marches qui mènent à l'évènement. Elle n'a évidemment pas d'invitation officiel, mais Nicolas arrive dès qu'elle envoie un message à Clo pour la prévenir de sa présence en ce mois de décembre polaire devant les portes fermées du gala.

L'interne est particulièrement élégant. Elle remarque alors qu'il est pas mal quand il fait un effort. Comme quoi, un costume bien coupé et une cravate, ça change son homme quand même ! Lui-même la complimente sur sa tenue, mais elle ne se fait pas d'illusion, il n'a d'yeux que pour sa blondinette. Revêtue d'une robe à plis creux d'une blancheur virginale qui fait ressortir sa parfaite carnation de blonde et ses yeux bleu océan, Clotilde est une déesse antique d'1m60 au bras d'un beau mâle attentionné d'un bon mètre quatre-vingt. Ils sont beaux.

Mais, elle, elle est stupéfiante. Et pas seulement grâce à sa tenue.