21 / Discussion animée en pleine rue

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— Je vous laisse ici, Mlle Cervin. J'ai un « poney » à promener, et quelques informations à potasser pour demain.

— Pour demain ?

— La réunion concernant la campagne pour vous savez quoi.

— Vous avez le droit de prononcer le nom de l'objet, vous savez. On n'est pas dans Harry Potter, là ! Il faut appeler un chat, un chat, et un vibromasseur, un vibromasseur.

Un couple qui passait près d'eux échange un regard mi-interrogateur, mi-amusé.

— Vous voyez ?! Ça ne provoque pas de tôlée. C'est assez commun maintenant comme objet.

— Hum. Bien. Peut-être. Quoi qu'il en soit, ça n'est pas une chose dont on parle dans la rue, au milieu d'inconnus.

— Pourquoi ?

— Parce que ça touche à l'intime.

— Et alors ? Peut-être que justement, il faudrait en parler plus librement, afin d'en faire un objet usuel, plutôt que honteux. Les jeunes pourraient s'en emparer et s'en amuser. Plus que des objets SM dont on nous a rabattu les oreilles à la sortie de « 50 nuances de Grey » et qui leur ont donné une vision erronée de la sexualité et du désir.

— Une vision erronée ? Différente plutôt. Chacun ses goûts.

— Certes, mais quand vous n'avez que ça à vous mettre sous la dent parce que le reste est « secret », alors ça devient une vision erronée, car partielle et partiale.

— Donc, il faut démocratiser le porno.

— Bien sûr que non ! Le porno tel qu'il existe aujourd'hui est majoritairement phallocratique et repose sur la domination des femmes qui seraient toujours consentantes du moment qu'on les stimule plus ou moins brutalement. En plus, c'est une industrie terrifiante où la plupart des femmes sont considérées comme de la chair à canon. D'ailleurs, ça participe allègrement à la vision totalement déformée de la sexualité chez certains jeunes, et notamment des garçons, réplique Pélagie sûre de son jugement après avoir lu la veille une unique étude....

— Ok, soupire Faust en se pinçant le haut de l'arête du nez dans un geste désespéré.

Il ne sait vraiment pas comment faire pour avoir une conversation normale avec la jeune femme. Elle est soit sur la défensive, soit agressive. Il n'arrive à rien avec elle. Et là, présentement, il n'en revient pas d'avoir précisément cette conversation dans la rue avec elle.

— Ça vous gêne. OK. Pas de problème. Mais si vous travaillez dans la comm', il va falloir passer outre certains préjugés, et aller de l'avant. Il faut se faire violence pour faire le meilleur travail possible.

— Se faire violence ? Se faire violence ?! Mais vous ne comprenez rien, ma parole ! dit alors Faust en se rapprochant d'elle au point que leurs deux visages sont dangereusement proches. Je n'ai aucun problème à parler de sexualité, ni de vibromasseur. Mais je considère que, comme la politique et la religion, c'est un sujet qui demande de ne pas être exposé au premier venu, à moins d'aimer être pris à parti, voire molesté. Donc, oui, Mlle Cervin, cette conversation s'arrête ici. Nous pourrons la reprendre dans le cercle privé, si vous le souhaitez, ce qui serait loin de me déplaire, sachez-le, ou bien, et c'est plus probable, dans le cadre professionnel, dès demain.

Sur ces paroles, il se redresse et part avec son « poney » de concours, laissant Pélagie passablement stupéfaite.

Ben merde ! Est-ce qu'il a dit ce qu'elle croit qu'il a dit ?


Pélagie aussi !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant