Chapitre 18

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Je viens de passer au moins quatre heures dans la salle de musique, mais le silence a fini par m'apaiser quelque peu, et mes jambes sont douloureuses d'être restées si longtemps dans la même position. Je me décide donc à aller jusque dans ma chambre, je ne refuserai pas le confort et la chaleur de mes draps.

Au fond de moi, naïvement, j'ai espéré le trouver là, sur mon lit, à m'attendre. Mais non, évidemment, il n'est plus là, et sûrement depuis un long moment.

Je m'enferme alors à double tours, avant de m'allonger.

Je me déteste. Je me haïs d'être aussi faible, d'être aussi déprimée, d'autant plus que j'étais censée m'y attendre ; je savais qu'il ne m'aimait pas, mais ma tête, mon cœur ainsi que mon corps ne voulaient pas admettre cette « défaite ». J'ai voulu y croire quand même, jusqu'au bout, parce qu'il m'avait embrassée, parce qu'il cherchait tout le temps mon affection, depuis le bal...

Alors je passe ma nuit à ne rien faire, à déprimer, et regarder toutes nos photos d'enfance. On semblait si heureux, si insouciants...cette période me manque profondément. La photo de nous que je préfère est celle où, dans mon petit maillot de bain rouge une pièce, je fixe la caméra avec un énorme sourire. Simon a un bras derrière ma nuque, et il me regarde en riant. Sa petite fossette est visible, malgré la qualité des années 2000, et il a deux bonnes têtes de plus que moi. Ce que je donnerais pour revivre ce moment au bord de la piscine...

A 3h25 du matin, je vois que Simon est toujours connecté. Il ne dort pas, mais n'essaie pas de me parler, il n'essaie même pas de venir me voir, alors même qu'il doit voir que je suis en ligne aussi, et que sa chambre est à trois pas de la mienne.

Je clique sur son mur, sans trop savoir pourquoi. Sa photo de profil, c'est moi qui l'ai prise il y a deux ans. Il est si beau...

Sa photo de couverture n'est autre qu'une photo de nous deux cet été à la plage, qu'Eli a prise sans nous le dire. Ça me brise le cœur...et si je l'avais définitivement perdu ? et si nous vivons ensemble encore quelques années, sans même s'adresser la parole ? cette idée me terrorise, mais mon corps est trop épuisé pour pleurer de nouveau. J'appuie sur la bulle de discussion, et vois les derniers messages que l'on s'est envoyés, avant-hier :

« Merci pour les crêpes, babe » avait-il dit, avant que je ne réponde « Avec plaisir ».

Ça me parait désormais étrangement loin...Simon est très, très loin d'être le genre de garçon à donner des surnoms, sauf quand il s'agit de se moquer. Mais le « babe », il me le dit plutôt souvent depuis mes dix ans. Ce n'est pas un diminutif de « baby », mais le nom d'un cochon.

Plus jeunes, nous avions regardé le film « Babe le cochon », et, comme maman disait toujours que j'avais un caractère de cochon, il avait eu la très bonne idée de m'appeler comme l'animal du film, qui selon lui, me ressemblait beaucoup. Il voulait juste m'embêter, comme quand il m'appelle « sœurette », mais contrairement à ce dernier, j'adore le surnom « babe ».

Me remémorer ces souvenirs me fait habituellement sourire, mais pas cette nuit. Je suis si nostalgique, que j'ai l'impression de n'avoir jamais connu autre sentiment que celui-là. La nostalgie est quelque chose de dévastateur, chez moi. Je la supporte mal, et la ressent chaque jour, au moindre souvenir heureux, je suis nostalgique.

J'ai, en revanche, remarqué quelque chose : on dit que lorsque le bonheur arrive, on oublie toute la douleur que l'on a pu avoir, aussi forte fût-elle, comme à la naissance de notre enfant, par exemple. Voir son bébé pour la première fois ferait oublier la douleur des contractions, du travail et de l'accouchement en un claquement de doigts. Et bien il en est de même, selon moi, avec la peine.

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