Chapitre 41

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Assise près de ma batterie, les baguettes dans mes mains immobiles, je mets quelques secondes à réaliser que Simon s'est assis face à moi, devant son piano.

— A quoi peux-tu bien penser pour être autant dans la lune ? me demande-t-il, sa fossette se creusant avec son sourire.

— Oh, rien de spécial...je repensais juste à Eli et Paul, et toutes ces révélations d'hier...J'ai encore du mal à réaliser.

— Bah, tu sais, quand j'ai compris j'ai cru que je me faisais des films, assure-t-il en fouillant dans ses partitions. Mais mes doutes se sont confirmés quand il m'a avoué que s'il avait failli coucher avec toi, c'était principalement parce qu'il essayait par n'importe quel moyen de se convaincre qu'il n'était pas attiré par les hommes...

— C'était donc ça...je souffle, comprenant désormais réellement son acte. Je pensais que c'était lié à Laura, même si ça me paraissait un peu étrange étant donné qu'il n'avait pas l'air de souffrir de leur séparation...

— Il ne voulait pas que tu le saches, déjà parce qu'il avait un mal fou à reconnaître lui-même qu'il était potentiellement bi, mais surtout parce qu'il craignait que tu ne sois vexée.

— Vexée ? Je demande, dubitative.

— Oui, il m'a dit lui-même qu'il avait honte d'avoir fait ça, parce qu'il t'avait en quelque sorte... « utilisée », même si sur le moment il n'a pas du tout pensé à ça, il a agit comme toi, sous la pulsion...

— Je ne l'aurais jamais mal pris. Je sais que c'était inconscient, et je peux comprendre...il était paumé. Tu imagines, ne jamais douter de ta sexualité, et un beau jour te rendre compte que quelqu'un du même sexe te plaît ? ça doit être tellement...perturbant. J'aurais sûrement pété un câble, à sa place.

Le brun rit, et ce son me fait toujours un effet dingue.

— D'ailleurs...je continue, essayant de reprendre contenance, il ne nous a pas dit pourquoi Paul s'est fait tabasser. On a complètement oublié de lui demander, avec tout ça.

— Ah, si, j'ai demandé à Paul tout à l'heure par SMS ; apparemment, des gars les ont vu s'embrasser à la sortie de boîte et ils ont attendu qu'Eli parte pour se jeter sur Paul. Manque de bol, Eli n'était pas si loin que ça et a entendu Paul crier, du coup, il est revenu en courant et a foutu un poing sur la gueule des autres mecs.

— Putain, ça me rend malade, on est au 21è siècle, sérieux, quand est-ce que les gens vont arrêter d'être aussi cons ?

Simon hausse les épaules, aussi blasé que moi. Il s'amuse à appuyer sur quelques touches au hasard pendant une dizaine de minutes, se plongeant lui aussi dans ses pensées.

— ça te dit, de jouer Running Up That Hill ? demande-t-il soudainement.

— Simon...j'ai encore du mal à...

— Allez ! et je chante, si tu veux, ça te donnera de la force, et puis tu n'as pas beaucoup à jouer pour cette musique !

Je capitule, pressée de l'entendre chanter. Il commence les premières notes de Placebo, que nous avons appris à jouer assez tôt dans notre enfance, et je me retiens difficilement de fermer les yeux lorsque sa voix emplit la pièce. J'essaie de faire abstraction des frissons qui me parcourent les bras, et commence à jouer à mon tour.

Je ne parviens pas à m'empêcher de le regarder : ça ne changera jamais, je crois, cette obsession et cette admiration que je ressens dès qu'il ouvre la bouche pour chanter. J'avais l'habitude de le voir le visage plus enfantin, la voix pas encore totalement adulte, les bras fins...Et ça me faisait déjà littéralement fondre sur place, mais là, alors qu'il joue devant moi ; une barbe de quelques jours dessinée sur son visage, son tatouage dans le cou, ses cheveux moins longs, ses bras dorénavant plus costauds et ses épaules plus larges...ça me procure bien plus. Je n'aurais jamais imaginé pouvoir être plus impressionnée, le trouver bien plus beau et aimer encore plus sa voix, et pourtant, c'est le cas. Je suis tombée folle amoureuse de Simon, l'adolescent, et je sais maintenant qu'on peut tomber amoureuse plusieurs fois de la même personne : parce que je réalise à cet instant même, que je suis inexorablement amoureuse de lui. Je viens de tomber amoureuse de Simon, l'adulte. Simon, qui n'a finalement pas tant changé, et dont je suis toujours restée folle malgré les deux ans de souffrance, mais qui me fait tomber encore et encore, plus profondément, plus rapidement, plus passionnément.

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