Chapitre 44

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Deux semaines sont déjà passées, et c'est je crois, la première fois depuis deux ans que je me sens aussi bien. Simon est le même qu'avant ; tout est comme on l'avait laissé, ça ne nous paraît même pas étrange de s'être retrouvés, c'est juste comme si c'était...normal, comme si ça tombait sous le sens, et que ce qui avait été anormal, c'était ces deux années que nous avions passés séparés. Parfois, j'ai l'impression qu'elles n'étaient qu'un mauvais rêve, tant j'ai du mal à croire que tout a été si différent, pendant cette période.

Nous sommes allés sur la tombe de papa, avant-hier ; c'était la première fois, pour Simon. Avant, il m'aurait dit d'attendre à l'entrée du cimetière, pour qu'il puisse se recueillir seul, pour que je n'assiste pas à son mal-être, et parce qu'il se renfermait comme une huître lorsqu'il souffrait. J'étais presque préparée à ce qu'il agisse ainsi, mais non. Au contraire, il n'a pas lâché ma main qu'il serrait bien trop fort, et, même s'il ne m'a adressé aucun mot, je savais qu'il était rassuré que je sois là. Nous sommes restés près d'une heure dans un silence incroyable, à fixer le marbre devant nos pieds.

Je n'y vais pas souvent, et je sais que pour Simon, ce sera l'inverse ; maintenant qu'il y est allé, il ira et ce, au moins une fois par semaine. Je déteste cet endroit, parce qu'il est la preuve même que papa est définitivement parti. Lorsque mes pieds foulent les cailloux blancs, et que mes yeux se posent sur son année de naissance, puis sur celle de son décès, j'en ai la nausée : parce qu'il ne reviendra pas. Il est là, à quelques centimètres de nous, mais il est intouchable. Pire, il n'est plus que poussières et vêtements vides de corps, et ça me rend malade. Même après tout ce temps, j'ai du mal à réaliser que ce n'est plus que ça : du silence, une tombe et l'odeur de la terre et des fleurs...Là où, il y a encore une vingtaine de mois, il y avait le vert de ses yeux, il y avait sa voix remplie de fierté après notre spectacle, ses bras me serrant contre lui...Il y avait encore la vie. Tout ce que ça me rappelle — le cimetière — c'est la mort. C'est pour ça que je n'y vais presque pas : je préfère écrire à papa, je préfère lui parler en regardant le ciel lorsque les étoiles brillent, je ne vois pas l'intérêt de parler à un cadavre caché par une tombe.

Simon lui, c'est différent. Il a besoin de se recueillir, il a besoin de se sentir physiquement proche de papa, même si ce n'est pas réel. Il voudra lui montrer qu'il pense à lui, en allant « le voir », en déposant des fleurs sur sa tombe en guise de cadeaux — les seuls qu'il peut désormais encore lui offrir. Simon aime les choses symboliques, et aller au cimetière, c'est symbolique pour lui, même si c'est quelque chose que moi je ne comprends pas vraiment.

Le retour à la maison était toujours silencieux, il a fallu quelques heures avant que le brun ne se remette complètement de cette première visite, et qu'il ne sorte de sa bulle.

La porte s'ouvre sur Simon, laissant la fraîcheur de dehors entrer quelques secondes. Il était justement parti « voir » papa, et je constate que la lueur triste dans son regard n'est pas encore partie. Il retire son manteau, et vient m'embrasser le haut du crâne :

— Tu veux que je cuisine pour ce soir ? demande-t-il.

— T'embête pas, on va aller au Jake's, Eli m'a envoyé un SMS. On mangera là-bas, enfin, si tu veux bien y aller ?

— Oui, oui, impec. Il y aura tout le monde ?

— Ouais, même Séléna. Ça fait longtemps qu'on a pas passé un moment avec elle, en plus.

Elle a déjà eu l'occasion de voir Simon depuis qu'il est revenu, elle l'avait invité à boire un verre pour qu'il puisse tout lui raconter, et qu'ils rattrapent un peu le temps perdu.

— Ah, c'est parfait alors.

— Tu...comment tu te sens ? je demande, me levant pour le rejoindre devant le frigo dans lequel il fouille.

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