Simon vient s'asseoir face à moi, avec un sourire déformé par le stress. Je n'ai pas besoin de lui demander ce que c'est, ni qui les a rédigées, je connais déjà la réponse : ce sont les lettres qu'il a écrites pendant son absence.
— J'aurais dû les brûler, c'est ridicule...souffle-t-il, jouant nerveusement avec l'une de ses bagues.
— Non, Simon. Elles sont importantes. Un jour, tu pourras les relire et voir à quel point tu as changé, à quel point tu t'en es super bien sorti.
— Pas vraiment...toutes les lettres qu'il y a dedans, elles sont destinées à papa...à maman, aussi, mais surtout à toi. Celles que j'avais faites pour moi-même auraient sûrement été utiles pour voir le chemin que j'ai parcouru, oui, mais celles-ci...
Il hausse une épaule, et je lui demande s'il veut bien que je lise celles qu'il m'a écrites. Il hésite avant d'expirer longuement, comme s'il se donnait du courage :
— Ouais, vas-y. Elles sont toutes à toi, de toute façon...tu pourras les garder, si tu veux, elles ne me sont d'aucune utilité...Je n'arrivais juste pas à me résoudre à les jeter ou les brûler.
Je me mets alors à fouiller parmi les enveloppes à la recherche de celles où il y a mon prénom, et en choisis quelques-unes. J'ouvre la première, et ce serait mentir de dire que je n'ai pas le cœur qui bat à l'idée de ce que je vais y lire.
Je déplie la feuille et commence la lecture :
Ma Joy,
Je ne vois pas pourquoi je continue à t'attribuer ce « ma » possessif, parce qu'il est clair que tu n'es plus mienne depuis maintenant des mois.
Pourtant je ne peux me résoudre à le retirer, car tu es toujours celle qui possède tout mon cœur, même si tu ne le sais pas, même si tu dois penser tout l'inverse.
Les jours sont atrocement longs. La culpabilité me ronge à m'en rendre fou. D'abord pour la mort de papa : j'ai préféré tout te mettre sur le dos les premières semaines, j'ai voulu trouver un coupable (autre que moi-même), un coupable qui serait plus facile à accepter et à détester. Je me trompais. Bien sûr qu'il est décédé à cause de moi. Au fond, c'est moi qui ait décidé de partir chez Eli ce soir-là , tu as certes insisté pour que l'on se rebelle et que l'on reste ensemble malgré l'interdiction de papa, mais c'est moi et moi seul qui ai cédé. Si je ne l'avais pas fait, il serait sûrement encore là.
Et puis évidemment, je m'en veux de vous laisser, tous. Surtout de vous laisser toi et maman.
Et c'est égoïste, tellement égoïste de ma part... mais je suis heureux d'avoir fui, et de ne pas être témoin de votre souffrance. Je n'aurais jamais pu la supporter. Je n'aurais jamais pu vous voir la mort dans l'âme, le regard vide et humide sans arrêt. Moi qui ait toujours su t'aider, qui ne t'ai jamais lâchée, voilà que je t'ai abandonnée, alors que c'était dans cette épreuve même que je devais t'aider. Je sais qu'Eli le fera à ma place, mais ça me bouffe encore plus, parce que je me repose sur notre meilleur ami qui doit souffrir aussi de mon départ, de ton malheur...
Alors je m'en veux, constamment. Je ne cesse de t'imaginer, avec tes crises, tes cauchemars, d'imaginer le moment où tu as appris pour papa... tu étais sûrement seule et ça me rend malade.
Je mérite vraiment tout ça. Je mérite de ne plus pouvoir te serrer contre moi, ne plus entendre ton rire traverser la maison, ne plus voir ton regard s'illuminer quand on joue ensemble. Je mérite d'avoir tout perdu, de n'avoir plus personne sauf des docteurs et des psychologues. C'est eux, qui m'ont conseillé de t'écrire. Ils ont dit que je n'étais pas obligé de t'envoyer mes lettres, que je pouvais les brûler ou les cacher, mais que faire semblant de t'écrire pouvait m'être bénéfique, que ça pouvait me libérer.

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Et plus encore
RomanceLa famille d'accueil de Joy l'a adoptée quand elle était encore enfant, elle a donc grandi avec le fils de ses parents adoptifs. Ils devraient se considérer comme frère et sœur, pourtant Joy développe des sentiments tout sauf fraternels envers Simon...