— Et tu as passé le reste de l'année là-bas ? je demande, repositionnant la couette correctement sur mon épaule.
— Non, j'ai passé six mois à travailler, c'est d'ailleurs pendant cette période aussi où j'ai commencé à faire faire des vidéos sur les réseaux, parce que je m'ennuyais. Je continuais de voir ma psy régulièrement et, je lui disais que je me sentais inutile, que ça me lassais de travailler huit heures debout dans le froid de l'usine. Je n'étais toujours pas prêt à rentrer, je n'avais pas suffisamment fait le point, et...j'avais peur. Encore une fois, fuir était l'option que j'envisageais le plus, alors je lui ai parlé de voyage. Je lui ai dit que j'avais toujours voulu aider les pauvres dans des pays en difficulté, que faire une mission humanitaire me tentait et elle m'a aidé pour les démarches. Je suis finalement parti en Tanzanie pour quatre mois, et...tu ne peux pas savoir comme ça a changé ma vision du monde. C'est ça, qui m'a vraiment aidé, je ne me suis jamais senti autant dépaysé que pendant ce voyage, j'ai enfin pu renouer avec moi-même, j'ai pu oublier un peu tout ce qu'il s'était passé, toute la souffrance qui m'avait habité...C'est con mais je me suis aidé en aidant les autres. J'ai retrouvé le sourire en m'occupant de gosses adorables et en jouant au ballon avec eux. Voir leur visage rayonner lorsqu'on leur a offert des vêtements, des jouets et de la nourriture...c'était incroyable. J'ai beaucoup chialé aussi, parce parfois c'était trop dur, de voir des maisons bourrées de familles, avec des femmes exténuées, et des enfants remplis de saletés et qui n'avaient que la peau sur les os...mais c'était une sacré expérience, et je serais prêt à recommencer dix fois s'il le faut. Les derniers jours, je pensais beaucoup à mon retour en France. Est-ce qu'il fallait que je reprenne un job et que je reste à Lyon ? ou est-ce qu'il fallait que je rentre à la maison, auprès de vous ? Je ne savais pas quoi faire. Au début, j'ai même carrément pensé qu'il valait mieux que je ne rentre jamais. Je m'étais dis que...que c'était trop tard. Deux ans, c'est énorme. J'ai pensé que tu devais me détester à crever, et j'avais raison, rit-il. Je me suis aussi dit que je ne pouvais décidément pas revenir comme une fleur, et j'ai commencé à me dégonfler. Mais finalement, j'ai pensé à mon père. Je l'avais suffisamment déçu, et j'étais sûr qu'il devait être enragé à me voir être aussi lâche. Ça m'a motivé et j'ai envoyé un message à ma mère. Quand je suis rentré, on a pleuré pendant au moins trente minutes, sans même s'être adressé un seul mot. Je m'en voulais tellement, de l'avoir laissée...de vous avoir laissées. Je n'ai pas arrêté de m'excuser, mais elle ne voulait rien entendre, pour elle, le plus important était que je sois revenu, « beau et en pleine forme » comme elle m'a dit. J'ai fait ce que je suis en train de faire avec toi, je lui ai tout raconté en détail. Au lieu de m'en vouloir, elle s'en ai voulu à elle-même, pour ne pas m'avoir trouvé, ne pas avoir cherché suffisamment, pour m'avoir laissé dans un hôpital. Je l'ai rassurée en lui disant que ça avait été nécessaire et que sans ça, je ne serais peut-être plus là pour en parler, alors ça lui a suffi. Le reste...tu connais.
Un long silence s'abat dans la pièce, me laissant digérer toutes ces informations.
— Je...je ne sais pas trop quoi te dire...j'avoue au bout d'un certain temps. Mais je me sens apaisée, je crois. Au fond je savais que tu avais une raison valable de ne pas avoir donné signe de vie pendant deux ans, c'est pour ça que je ne voulais pas l'entendre...je voulais pouvoir rester en colère contre toi, parce que j'avais tellement souffert de ton absence...
— J'étais certain que tu ne voulais plus me voir, et encore moins écouter ce que j'avais à te dire. Même si je pensais que tu aurais peut-être changé, je savais que tes réactions ne changeraient pas, et j'avais anticipé celle-là. Je savais aussi que tu préférais rester dans le déni plutôt que de connaître les raisons de mon absence. Par contre, je m'étais trompé sur une chose...
Il sourit, et je fronce les sourcils.
— Sur quoi ? je demande.
— J'étais persuadé que tu avais refait ta vie. Je pensais que, comme tu devais me détester, tu m'aurais oublié et que tu serais passée à autre chose. C'est pour ça que j'ai tout de suite imaginé que toi et Eli vous étiez devenus...plus que des meilleurs amis. Quand je vous ai vus, proches comme ça, presque autant que nous l'avions été tous les deux...j'ai pris une claque.

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RomanceLa famille d'accueil de Joy l'a adoptée quand elle était encore enfant, elle a donc grandi avec le fils de ses parents adoptifs. Ils devraient se considérer comme frère et sœur, pourtant Joy développe des sentiments tout sauf fraternels envers Simon...