𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 14 - 𝓔𝓿𝓲𝓮

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Aujourd'hui, c'est le grand moment de faire le point avec mon chirurgien à propos de mon amputation. Après autant de temps, je ne devrais pas avoir autant de rendez-vous, mais les douleurs sont toujours là et ni l'un ni l'autre ne savons comment y échapper.

Je me pose devant monsieur Rodriguez qui me détaille du regard en prenant une grande inspiration.

-Je suppose qu'il n'y a pas d'évolution par rapport à la dernière fois ? M'interroge-t-il en croisant ses mains sur son bureau.

-Toujours pas non, soupiré-je en posant mon regard sur ma prothèse bleu nuit à strass.

Il grimace et me propose de m'installer sur une table d'examen pour retirer ma prothèse. Il regarde mon moignon et vérifie que tout va toujours aussi bien, avant de me laisser remettre ma nouvelle jambe provisoire. Je retourne me poser sur le siège et il reprend place derrière son bureau.

-Vous savez, après autant de temps, il est très surprenant que vous ayez toujours les douleurs du membre fantôme.

-J'ai cherché sur Internet des informations à ce sujet.

-Et qu'est-ce que vous avez vu ?

-Que je ne suis pas la seule dans ce cas. Ça dure des années pour certains amputés.

-Oui, mais après autant d'années, vous êtes la première que je vois.

-Est-ce que c'est si dramatique que ça, après tout ? Ce ne sont que quelques douleurs physiques.

-Psychologiques, madame Torres.

-Comment ça ?

-Eh bien vous êtes d'accord avec moi pour dire que vous avez une partie de votre jambe qui est amputée.

-Oui.

-Mais vous avez mal comme si votre jambe était toujours là. Ça ne peut pas être physique parce qu'elle n'est plus là. C'est lié à votre cerveau, c'est psychologique. Vous n'arrivez pas à relativiser en vous disant que ce membre n'est plus là, et qu'il ne peut plus vous faire du mal.

-Je sais très bien que je n'ai plus de jambe, docteur. J'ai eu le temps de le remarquer depuis. J'ai eu des mois de rééducation après mon amputation, et je vous rappelle que matin et soir, je retire ma prothèse.

-Je sais que vous en avez conscience, mais...

-Mais quoi ? Je ne vois pas là où vous voulez en venir.

-Vous avez vu des psychologues ces dernières années, mais rien n'a réussi à totalement vous faire remonter la pente sur ce que vous avez vécu. Vous et moi savons que vous n'avez pas perdu qu'une jambe ce jour-là, vous...

-Assez, le coupé-je en frissonnant lorsque les souvenirs reviennent à la surface. J'étais là, et pas vous. J'étais sur la scène, je sais ce que j'ai vécu.

-Peut-être que vous pourriez reprendre rendez-vous.

-À quoi bon ? Ça ne changera rien. Ça fait dix ans que je suis dans cette situation.

-Vous dansez toujours ?

-Bien sûr.

-Et si vous arrêtiez pendant un moment ? Pour faire un travail pour vous, essayer de relativiser. Vous avez enchaîné avec la danse, après la rééducation, pour penser à autre chose. Si vous aviez pensé à tout ce que vous avez vécu à la place...

-Je ne serais plus de ce monde, docteur. La danse m'a permis de me reconstruire, de tourner la page sur mon passé. Certains événements traumatisants sont gravés à jamais dans ma mémoire. Ne pensez-vous pas que si j'étais restée chez moi, seule à penser à ce que j'avais vécu, mes pensées auraient été bien sombres ? Je me suis forcée à sortir, à essayer de passer à autre chose même si je sais que tout ce que j'ai vécu m'atteint toujours autant. Alors non, je n'arrêterai pour rien au monde la danse, c'est la seule chose qui me maintient toujours en vie.

The Golden Cage - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant