L'hôtel de Noël [Sope]

Chapitre 39

Vêtus de bon nombre d'épaisseurs pour s'assurer de ne pas geler sur place, Yoongi et Hoseok quittèrent l'hôtel un peu avant dix heures du matin. Le jardin qui s'étendait derrière les lieux devait s'avérer magnifique une fois le printemps venu, néanmoins aujourd'hui il était morne, tapissé de neige et sans la moindre végétation apparente, outre quelques arbres morts et un sapin, seule plante encore vivante ici. Hoseok approcha, suivi par son aîné.

« Regarde, y a des guirlandes dessus, sourit le cadet en les découvrant autour des branches. Tu crois qu'ils les ont déjà allumées ou bien ils attendent le vingt-quatre.

— Elles ont déjà dû briller, mais avec notre chambre qui donne côté route, on a rien vu.

— C'est dingue tout ce qu'on rate, dans une vie, sans en prendre conscience sur le coup...

— Comment ça ?

— J'aurais voulu les voir briller, ces décorations. Ça doit être joli, non ? Les lumières qui se reflètent sur la neige, qui changent son blanc éteint en un arc-en-ciel éclatant. C'est con qu'on reparte cet après-midi...

— T'en verras pleins d'autres, des lumières, à Séoul.

— Oui... mais c'était celles-là que je voulais voir.

— T'es encore plus capricieux qu'un gamin.

— Je sais, opina Hoseok en laissant poindre un sourire ému. Faut croire que j'arriverai jamais à grandir.

— C'est peut-être pas plus mal.

— Tu crois ? demanda Hoseok.

— J'admire le fait que chez toi, être adulte ne signifie pas pour autant que t'arrêtes complètement d'être un enfant. Tu gardes une certaine naïveté, une certaine innocence, et c'est précieux. Est-ce que les adultes s'émerveillent autant que toi devant un sapin de Noël ? T'as de la chance.

— Ça t'arrive de... de te sentir un peu trop adulte ?

— Tous les jours... mais un peu moins cette semaine.

— Et c'est une bonne chose ?

— Je crois.

— Ah ?

— Je crois que t'es une des meilleures choses qui me soit arrivée cette année, Hoseok-ah, » avoua Yoongi dans un murmure presque timoré.

Son cadet ignora alors ce qu'il éprouvait exactement : ça ressemblait à un mélange de bonheur et de peine. À l'idée que Yoongi admettait enfin l'apprécier, il se sentait euphorique, néanmoins le fait que son ami ait accepté un travail qui l'amènerait à renoncer à sa vie le blessait. Yoongi, parce qu'il désirait rendre son père fier, avait consenti tous les sacrifices, et malgré ce courage, il n'obtenait toujours pas l'amour qu'il avait espéré.

Seulement une solitude plus grande et plus lourde encore, qui l'incitait donc à se raccrocher avec davantage de véhémence à son père, celui-là même qui lui faisait le plus de mal.

Debout à côté de son aîné, Hoseok laissa tomber la tête sur son épaule dans un soupir las.

« Ça va, te gêne surtout pas, grommela Yoongi.

— Arrête un peu de râler, apprécie ce que tu prétends ne pas aimer. »

Yoongi lâcha un « tss » moqueur, en dépit de quoi il posa à son tour la joue contre son cadet, qui hésita avant d'oser enrouler un bras autour de sa taille. L'autre rougit, pour autant il ne lui demanda pas de s'écarter. Il aimait que Hoseok prenne une telle initiative, jamais lui n'aurait trouvé le courage d'agir ainsi ou bien de le réclamer, pourtant... un peu de contact, il se l'avouait volontiers, lui procurait le plus grand bien.

« J'ai réussi mon année avec de super notes, j'ai obtenu une augmentation pour conduire également Namjoon où qu'il aille, mais... je crois aussi que tu fais partie de ce qui m'est arrivé de meilleur cette année, admit Hoseok. Entre les études et la voiture, j'ai peu de temps pour faire de nouvelles rencontres, et ça me manquait un peu, je crois. Et puis... cette rencontre-la, elle était vraiment pas banale. C'est important d'apprendre à ne pas juger les autres juste après quelques échanges, et je crois que tu m'as permis de m'en rendre vraiment compte.

« Parce que t'es réservé, tu montres pas aux gens que tu connais pas qui tu es, et c'est normal. On t'a blessé alors que tu faisais confiance, donc t'as décidé de ne plus faire confiance pour ne plus souffrir. Je sais pas si ça a fonctionné, mais au moins ça t'a permis de te dire que si les gens te rejetaient, c'était parce que t'avais adopté le même comportement de ton père. Ça donnait une légitimité au mépris que tu recevais, et j'imagine que ça te rassurait aussi un peu de te dire que les gens ne pouvaient plus te haïr pour qui tu étais puisque tu ne leur montrais jamais ta vraie personnalité. Sauf qu'à force de te cacher des autres, t'as fini par te cacher de toi-même, incapable de te sentir en sécurité avec autrui au point que t'as peu à peu choisi de n'accorder de valeur qu'à l'avis de ton père.

« Mais même lui ne te regardait pas comme tu l'espérais, sans compter que t'avais jamais osé lui avouer un secret qui te pesait et qui aurait pu l'inciter à te tourner définitivement le dos – du moins d'après toi. Isolé, désespérément seul, tu t'es caché sans arrêt... jusqu'à ce qu'arrive ce fameux chauffeur un peu empoté qui a réussi à se paumer sur une route de montagne. Donc je considère que cette façon que t'as eu de t'ouvrir à moi a été précieuse, hyung, et ça me touche de compter parmi les rares personnes auxquelles t'as décidé d'accorder ta confiance. Je sais à quel point ça compte pour toi, alors sache que ça compte aussi beaucoup pour moi. »

Le silence s'installa.

« Bon du coup, c'est bon, tu l'as finie ta déclaration ?

— Te moque pas ! s'énerva Hoseok dans un demi-rire. J'étais sérieux !

— Je sais, je sais... et ça me touche que tu me considères comme ça et que... tu te sois pas juste arrêté aux apparences. Merci de m'avoir laissé une chance. »