19h03, chez Ange
J'ai pris l'initiative d'inviter Antoine à diner, je le vois mal manger dans son coin, surtout dans sa maison bien trop grande pour lui tout seul. Non. Je ne peux m'y résigner. Alors, Julien va devoir s'habituer avec le blondinet, c'est ainsi.
« -J'ai pu joindre des forces de l'ordre française... Les nouvelles sont mitigées. Les Allemands prennent toujours de terrain. Cependant, nos soldats français ne reculent devant rien. Enfin, visiblement on manque cruellement d'hommes et de matériel. Mais on ne lâche rien... »
Julien lève les yeux de son journal pour regarder Antoine, quant à moi, je continue d'éplucher quelques légumes pour le souper. Le blondinet s'avance jusqu'au salon.
« -On ne lâche rien peut être, en attendant, il y a des massacres, elle est drôle celle-là ! s'exclame Julien.
-Ecoutez, je communique avec des gens haut placés, ça a l'air de s'arranger, je préfère les croire tout de même...
-Dites ça à ces pauvres gens morts dans le froid et la neige... »
Je fronce les sourcils et lance un regard mauvais à Julien, il recommence. Et dire qu'il y a quelques heures, il était doux comme un agneau à mon encontre, on est resté un long moment à se serrer l'un contre l'autre dans un silence apaisant pour nos cœurs en fusion.
« -On ne peut pas éviter tout non plus, mais on arrive de plus en plus à les repousser, je vous assure...
-Dans quelques jours, on sera en 1945. Cela va faire six ans. Six ans qu'on est enrôlé dans cette guerre terrible. Alors, non, je n'y crois plus à toutes ces belles paroles... »
Je dresse la table pour trois, je suis la conversation mais je ne dis rien, même si j'ai ma propre opinion. Antoine vient m'aider à mettre la vaisselle, une crème cet homme. C'est sûr que Julien ne bougerait pas d'un petit doigt.
« -Et si je vous dis que j'ai des nouvelles des gens du village ?
-Sérieusement ? dis-je, les yeux grands ouverts.
-Oui. Ils sont réfugiés à quelques kilomètres, avec des résistants visiblement, dans une forêt, je n'ai pas très bien compris, mais dans un endroit sûr et reculé. Ils vont bientôt revenir !
-Mais c'est génial ça ! Quelle bonne nouvelle ! On ouvre une bouteille de vin pour l'occasion ?
-Bien sûr ! »
Julien soupire, comme si tout ça était terminé. Selon lui, ce n'est pas parce que quelques personnes vont revenir comme par magie que la guerre va prendre fin, au contraire.
Pour moi, je vois enfin un grand rayon de soleil, peut être qu'il est minuscule, mais ça suffit pour réchauffer cette France en deuil et qui y croit encore.
Antoine s'occupe d'ouvrir le vin, il en verse généreusement dans des verres prévus à cet effet, Julien reste cloitré dans une méfiance et une certaine distance, il se contente de s'asseoir et surtout de prendre son précieux verre, au moins il a gagné ça.
« -Vous avez entendu Julien ? Des gens vont revenir ! C'est génial !
-Oui c'est ça, c'est génial...
-On va même recevoir de nouveaux habitants, du moins des visiteurs vu que les résistants vont débarquer avec nos camarades ! s'exclame Antoine.
-Super, on va devenir le centre de la résistance, parfait... dit Julien en jouant avec sa fourchette.
-Cela ne vous plait pas ? dis-je, les sourcils froncés.
-La résistance, c'est bien. Gagner la guerre, c'est bien mieux... »
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Le jardin de mon coeur
Historical Fiction"Je m'appelle Ange. En 1944, mon jardin était tout pour moi. Jeune femme de la campagne, je n'avais conscience ni du danger ni du coup de foudre. Qu'est ce qui est le pire dans cette histoire ?" Mais bon, ce ne sont que des bouquets de fleurs, non? ...