Chapitre 36: Le jardin de mon cœur

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Le printemps est arrivé contre la fenêtre de la maison. Comme un oiseau. Mais ce volatile est complétement égaré. Oui, c'est ça le bon mot. Ce printemps de 1945 est inhabituel. Le soleil peine à se montrer, de temps en temps, des déluges prennent le dessus. Les fleurs n'osent même plus pousser, par peur de déranger les combats environnants ou les morts qui reposent sous terre. Non ce printemps, il est bel et bien maudit jusque dans sa chaire....


Plus de nouvelles de Julien ni d'Antoine. C'est si long. Ma lettre n'a visiblement pas séduite Julien depuis. Il m'aurait répondu sinon. Mis à part s'ils ont rencontré des problèmes sur place. Mais, je ne comprends pas pourquoi on interdit les correspondances à ce point. Ce sont juste de vaines lettres d'amour, quoi que, j'ai peut-être caché quelques graines dans l'enveloppe...


D'habitude, je me mets à ranger et à jardiner toute la journée pour l'arrivée de la saison florale. Or, je n'ai plus l'envie ni la force de faire quoi que ce soit. Même mon cerveau tourne au ralenti, comme un poisson rouge dans un bocal. Je ne sais plus. Je ne peux plus...


Mes journées se ressemblent. De temps en temps, je vais à la gare, avec une infime lueur d'espoir, comme toutes ses femmes aussi désespérées que moi. Moi, je ne suis guère forte. C'est Julien qui me transmet sa force, rien de plus...


Mais, il n'y a jamais rien qui se passe. Sur le chemin du route, je pleure en passant en général devant l'atelier de Julien qui n'a jamais ouvert, jamais, nous n'aurons le privilège d'admirer son art, jamais mes yeux n'auront le privilège de devenir aveugle face à tant de finesse artistique... J'ai beau sécher mes larmes, les tableaux transpercent à chaque fois mon pauvre petit cœur en rasade.


Puis, je ne vais plus au marché. Je ne sors quasiment plus. C'est à peine si je cuisine. Je refuse de dormir, de m'alimenter, de faire quelque chose. Tout ça pour quoi ? Pour qu'au cas où si Julien revienne, je puisse me dévouer entièrement à lui jusqu'à la fin de ce sombre siècle. Voilà pourquoi...


« -Ange. Vous n'avez rien mangé. J'ai préparé une bonne soupe comme vous aimez, de plus, le temps est agréable, mangeons sur la terrasse, non ?


-Non merci. La vue du jardin me donne envie de vomir, vous comprenez ? Cette terrasse est ridicule...


-Je pensais vous faire plaisir... Bon, je vous apporte votre bol, c'est important de manger... »


André insiste tout de même sur l'alimentation, le vieil homme s'installe à mes côtés et savoure sa soupe tandis que la mienne repose sur la table basse. Comment fait-il pour rester aussi digne et vaillant ? Moi, je ne fais que d'être piétinée encore et encore...


« -Buvez, c'est délicieux. Pour une fois que je réussis à faire la cuisine, c'est un vrai miracle !


-Vous vous débrouillez en cuisine, non ?


-Je n'ai pas eu le choix avec le décès prématuré de ma femme, vous savez, on devient autonome après... »


André sourit et continue de boire. Je crois que c'est l'une des rares fois où l'homme se confie sur sa propre femme, morte depuis bien longtemps. Je me décide enfin à savourer ma soupe.

Le jardin de mon coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant