Chapitre 16: Respire petite fleur

18 0 0
                                    

« -Franchement, on ferait mieux de laisser ces corps tranquilles, non ? » fait remarquer Julien.

-Je suis d'accord avec vous, mais Ange a tellement insisté aussi... »

Antoine est un peu pris de court, certes Julien a raison. S'occuper d'enterrer des corps, comme ça, c'est presque interdit. Mais bon, cette guerre, elle franchit les interdits, non ?

C'est alors qu'en entendant des bribes de voix, j'ouvre doucement les yeux. Ce n'est pas vrai. Ils ont réussi à me réveiller avec leur discussion sans fin ! Je m'étire et baille, j'ai dormi combien de temps ? Je n'en sais rien. Cependant, ça m'a fait un bien fou d'échapper à la réalité de cette façon...

« -Oh Ange vous êtes réveillé ! dit Antoine en souriant.

-Vu comment vous parlez fort, ce n'est pas étonnant...

-Ah, excusez notre impolitesse...

-C'est bon, laissez tomber. Ne les enterrez pas...

-Je ne comprends pas...

-Vous avez tous deux raison. On ne peut pas se permettre de les enterrer ainsi, sans autorisation, sans savoir qui sont-ils. Donc laissez les tranquille... »

Je soupire et me redresse contre le tronc, mais tout en restant assise. Les deux hommes me regardent d'un air ahuri, tout ça pour ça ? Non. Au moins, on a dégagé les corps du pauvre village qui ne ressemble plus à rien. Je pose mon regard sur mon genou droit.

« -Qui m'a mis un bandage ?

-C'est moi... dit Julien.

-Ah bon ? En quel honneur ?

-Vous êtes tombé de vélo, vous vous souvenez ? Le Bon Dieu vous a puni d'ailleurs... »

Je lève les yeux au ciel, c'est bon, j'ai compris. Je sais que à l'avenir, je ne ferais plus ce genre de remarques, bien que ce que je disais était malheureusement vrai. Julien boit à tout va et ça me déplait fortement. Je me lève enfin.

« -Bien. Rentrons au village. Ce cimetière me fout la chair de poule...

-Vous êtes sérieuse Ange ? Pourquoi on a fait ça alors ? dit Julien.

-Nous n'allions pas laisser les cadavres à l'air libre, non ? Il fallait absolument les déplacer, chose faite...

-Franchement, les femmes, vous êtes agaçantes... »

Julien soupire et reprend la pelle sur son dos, je prends soin de reprendre mes graines et mes fleurs, je sais, c'est un peu idiot d'avoir fait tout ça mais je me rend compte qu'on ne doit pas faire ça. C'est trop intime, personnel, ce n'est pas notre rôle.

Je sors tranquillement du cimetière, c'est vrai que ma bicyclette est inutilisable, je vais devoir revenir à pied, super. Mais je m'arrête soudainement. Le seul reflexe que j'ai, c'est de boucher mes oreilles car une bombe vient d'être larguée à plusieurs kilomètres et résonne d'une telle force qu'elle pourrait exploser les tympans de n'importe qui. Un nuage de fumée se forme. La guerre est là.

Je laisse mes mains sur mes oreilles. Je ne sais pas pourquoi. Sûrement par peur de devenir sourde. Un avion passe au-dessus de nous. Sûrement celui qui a largué la bombe un peu plus loin. C'est comme s'il nous narguait. Je me couche à terre, encore un automatisme. Après, tout on pourrait nous lancer une bombe à nous aussi. Au pire, on serait déjà enterrés au cimetière, plutôt pratique...

« -C'était quoi ça ? demande Antoine, surpris.

-Des Allemands... Encore eux... Ils sont partout ces vermines ! crie Julien en colère.

Le jardin de mon coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant