Chapitre 22: Le houx de nos joues

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24 décembre 1944, 8h02


Le jardin est encore recouvert de neige. Encore plus ces derniers temps. Peut être que ça s'appelle la magie de Noël. Mais au fond, il n'y a même pas de trêve pendant la guerre. Cette épaisse couche de neige sert juste à recouvrir les cadavres sur le champ de bataille, rien de plus. Un peu comme un baume après une blessure fatale. On est d'accord, ça ne sert à rien.


Personne n'a le cœur à la fête. Pourtant, j'ai essayé de faire comme si c'était joyeux. J'étais impatiente que ce jour arrive. Mais pourquoi faire ? Rien ne change. Rien n'évolue. Même s'il y a des guirlandes qui donnent un peu de lumière, il fait toujours aussi sombre...


Le réveil est alors douloureux. Je constate que dans mon cœur, il n'y a ni excitation ni réjouissance. Il y a juste un grand désert froid et oppressant. Je décide d'aller à la cuisine. Parce qu'après tout, c'est un jour comme un autre, pas vrai ?


Je prépare du chocolat chaud. Il fait si froid. Il n'y a presque plus de bois en plus. Et je n'ai aucune envie d'aller en couper dans cette sombre forêt. J'ai retenu la leçon... Plus aucune marchandise n'arrive à la gare, nous sommes fichus...


« -Bonjour Ange...


-Julien ? Vous êtes déjà levé ? dis-je, surprise en regardant ma montre.


-Ah oui. J'ai mal dormi. Je n'arrive pas à me reposer. J'ai préféré donc me lever. Vous avez besoin d'aide ?


-Oh et bien, je fais du chocolat chaud. Donc non, ça va pour le moment... »


Je lui adresse un doux sourire avant de surveiller le lait en train de chauffer dans la casserole. Julien s'assoit sur le canapé. Il ne prend ni son verre ni son journal. Oui, c'est étrange. Il regarde juste dans le vide, il regarde juste la neige qui a saccagé mes fleurs et les condamnent une à une au terrible gel.


« -Vous savez quoi ? Je déteste le froid. Je haïs même le froid...


-Pourtant, il fait froid aussi à Paris, non ? dis-je, intriguée.


-En effet. Mais ça n'a rien à voir avec ce que je veux dire... »


Je ne comprends pas tout. J'apporte le chocolat chaud dans deux tasses fumantes. Les vivres commencent à manquer de plus en plus. La réserve de légumes s'écoule de plus en plus. Combien de temps allons-nous tenir ? Combien de temps la France va t 'elle encore tenir debout ?


« -Je n'ai jamais eu trop froid dans ma vie. Même à Paris. Quand on est riche, on a le luxe de se chauffer, de bien manger, d'être entouré, alors on n'est pas sujet au froid. Mais quand enfin, on nous expose loin de la chaleur, nous sommes vulnérables... Je suis vulnérable.


-Si vous habitiez ici, vous auriez donc davantage connu le froid ? Il y a des hivers très rudes dans la région vous savez, c'est comme ça depuis que je suis toute petite...


-Je ne parle pas de la météo Ange. Je ne parle pas de ça... »


Le jardin de mon coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant