Les jours passent. Si bien qu'on arrive en février. Depuis que j'ai essayé de rêver, ça n'a pas marché. Non. Quand on cherche à provoquer le rêve, on ne récolte que des cauchemars. Et ces dernières nuits, je ne revois que l'orage, Blaise, ce mal-être que je ne comprends guère et des fleurs arrachées sans aucune gêne, sans aucune pitié. Les tondeuses ont perturbé mon sommeil...
Je n'ai plus la force de jardiner. Même s'il fait soleil, ce jardin ne signifie plus rien. Loin de Julien, je n'ai plus de raisons d'avoir la main verte. Je crois que maintenant, je déteste le jardinage et toutes les fleurs de ce monde. J'en ai même jeté mes robes. C'était ridicule. Elles ont rejoint les vases en miette, dans la poubelle.
Il n'y a que des femmes. On souffre toutes. Même si la plupart remplacent leurs hommes, on en paie le prix. Quand l'amour est là, il consume tout sur ce passage. Parfois, de pauvres femmes crient soudainement ou pleurent en pleine rue. Elles ont appris la mort de leur mari, de leur père, de leur fils. Et moi, je pense qu'il va revenir un jour, j'espère. Je ferais bien de cramer mes espoirs dans la cheminée.
« -Je crois que vous avez du courrier aujourd'hui. J'ai ramené de quoi manger... dit André en rentrant dans la maison.
-J'en ai que faire. Laissez-moi... » dis-je, prostrée sur le canapé, comme depuis des jours.
Même André n'arrive pas à me ramener sur Terre, je suis dans le vide sidéral et je ne respire plus. Le petit homme dépose ses achats sur la table de la cuisine et regarde le courrier par curiosité et attention.
« -Cette lettre est étrange tiens... Vous devriez l'ouvrir.
-Faites-le pour moi...
-Elle semble très personnelle... »
Je soupire, qu'il est agaçant ! Mon Dieu, la souffrance me rend méchante et aigrie, je ne veux pas. André n'insiste pas plus et se fait un thé tranquille, l'homme ne sait plus quoi faire aussi...
« -Si ça ne vous dérange pas Ange, j'aimerais me reposer. Je me sens très fatigué...
-Bien sûr. Prenez mon lit. Je vais rester ici, je ne supporte plus la chambre... »
L'homme hoche la tête et comprend mon allusion à la chambre. Cette chambre me rappelle trop de bons souvenirs, quand j'ai essayé ma robe, quand je sentais son odeur de cigarette, quand je touchais son torse, mais surtout, quand il dessinait d'un air habile que j'avais envie d'être entre ses mains à la place du crayon. Cette pièce, je viendrais bien la défoncer à coup de pelles jusqu'à en abattre les murs. Je ne veux plus jamais y rentrer. Plus jamais.
Je me retourne vers le fameux courrier. Est-ce Julien ? Aurait-il réussi à passer entre les mailles du filet ? C'est fort probable. Dans ce cas-là, ce serait un coup de chance. Parce qu'on sait tous, que chaque lettre envoyée est vérifiée scrupuleusement. Si bien qu'on viole l'intimité des couples à chaque fois. Je crois que c'est ça. C'est le pire des viols qui soit...
J'hésite à l'ouvrir. L'envie me brûle le cœur et en vient à le faire pleurer. Mais, je sais que je serais sûrement déçue. Déçue parce que Julien n'est toujours pas rentré. Nous sommes en février. L'attente est longue... Surtout, jusqu'au fameux printemps...
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Le jardin de mon coeur
Ficção Histórica"Je m'appelle Ange. En 1944, mon jardin était tout pour moi. Jeune femme de la campagne, je n'avais conscience ni du danger ni du coup de foudre. Qu'est ce qui est le pire dans cette histoire ?" Mais bon, ce ne sont que des bouquets de fleurs, non? ...