Chapitre 35: Une jonquille et des crayons de couleur

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20 mars 1945


POINT DE VUE DE JULIEN


Mes yeux s'ouvrent tout doucement. Aujourd'hui, c'est le printemps. Et pour cause, le soleil me frappe allégrement le visage en ce début de saison. Oui, nous sommes bien le printemps. Le lac est étonnamment calme. Il n'y a aucun nénuphar ou grenouille, c'est serein. Oui, nous sommes bien le printemps. L'herbe est verte et fraiche aux alentours. Cette prairie est parfaite. Oui, nous sommes bien le printemps. Et je déteste déjà cette journée pour toutes ces raisons...


Cela fait quelques jours qu'Antoine a disparu, sans laisser de traces. J'ai beau réfléchir à cette drôle d'énigme, je ne vois qu'une seule solution : il a dû faire une mauvaise rencontre, l'armée Française retient Antoine, c'est sûr et certain, pour collecter des informations à mon sujet notamment. Les Allemands ne sont pas les seules enflures dans cette guerre sans fin, même nos propres voisins sont nos ennemis.


Je me suis sûrement assoupi au niveau de cet arbre, j'ai tellement marché, tourné en rond, pour rien... Je suis condamné à cela, jusqu'à ce que les clairons sonnent la victoire Française. Le temps est encore long jusque-là. Et je ne peux prendre le risque d'envoyer une lettre à ma chère Ange. D'ailleurs, comment vous portez vous ma chère ? Vos jonquilles fleurissent en ce printemps ?


Mon ventre gargouille. Je mange parfois, mais pas chaque jour. C'est sûr que cela me change des bons petits plats de ma petite rouquine. Carrément. Et comme un idiot de Parisien, je lui ai toujours dit qu'elle cuisinait comme une minable, comme une pauvre, sans viande et appétit. Maintenant, je ravale mes larmes, je rêve d'une bonne soupe et d'un dîner en sa compagnie. Les petits plaisirs sont si loin...


Je ne sais comment faire. Ange est à des années-lumière de la planète sur laquelle je me suis échouée, Antoine est sûrement entre de mauvaises mains, et moi, je ne sais où je suis. Si seulement j'avais un indice, un panneau, quelque chose. Mais je suis seul au monde, je l'ai bien mérité, non ?


« -On perd notre temps. Je vous le dis, ça ne sert à rien. Faisons demi-tour.


-Attends. Ce sont les ordres, on doit continuer de chercher. »


Tiens, des résistants ? Des camarades passent par-là ? Je tourne ma tête. Là, à quelques mètres, derrière des feuillages, plusieurs hommes de l'armée Française, armés et déterminés. Que cherche-t-il ? Par réflexe, je fais le tour de l'arbre et me cache derrière celui-ci, agissant comme un vrai espion.


« -Franchement cet enculé de Parisien nous en a fait voir de tous les couleurs... Il n'a toujours rien lâché le blondinet...


-Tant pis, il risque de crever...


-Impossible. Il est trop précieux pour avoir des informations... »


Enculé de Parisien ? Je me reconnais immédiatement. Pas que je sois un enculé mais un Parisien, c'est totalement moi ! Le blondinet de plus, c'est Antoine. Ou à moins que je me fasse de fausses idées. Mais de vous à moi, c'est gros. N'oublions pas que l'armée Française nous recherche activement et ce n'est pas pour jouer aux cartes. Qu'est ce qui pourrait être bien pire ?

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