4 janvier 1945
On ne va pas se mentir. Ce n'est plus pareil. 1945, c'est moins bien. On ne se comprend pas. On ne se parle pas. Et pourtant, le soir, on s'endort l'un contre l'autre paisiblement. C'est ce qu'on appelle la trêve. La trêve hivernale. Parce que la chambre ne devrait jamais devenir un champ de bataille. Jamais...
La trêve hivernale, c'est aussi prendre le petit-déjeuner ensemble. Mais sans un mot. On s'y fait au silence des meubles. On s'y fait. Comme à tout. Avec Julien, on s'habitue. Il faut mieux un grand silence qu'un énorme coup de feu. En attendant, ça sent la poudre...
Quelqu'un toque à la porte. Je ne réagis pas. Je m'endors à moitié devant mon café chaud. Julien me lance un regard. Qui osera aller ouvrir ? Sûrement Antoine. Ou un Allemand venu nous buter ? On recommence inlassablement...
« -Vous ne vous levez pas ?
-A vous l'honneur. Comme ça, si c'est un Allemand, vous tuerez une seconde fois pour moi. »
Julien se lève alors, sans rien rajouter. Il ouvre la porte et semble discuter à priori en français. Super, nous ne finirons pas en fugitifs, à fuir dans la neige, par-delà les montagnes. Encore heureux, je n'ai plus la force rien. Je n'ai plus la force de me lever et de courir pour sauver ma peau, sauver mon destin.
«-Julien ? C'est à propos de quoi ? »
Il ne me répond pas. Et pourtant, il discute, il reste à l'entrée. Il se fait des amis, c'est ça ? Je décide enfin de me lever. En fait si j'ai encore la force. Cela dépend pour quel raison. Et surtout, pour quelle personne...
« -Bonjour Madame. Nous sommes des gradés de l'armée française. Enchanté...
-Oui... Euh, c'est à quel sujet ?
-Justement, nous discutions avec votre mari... »
Les deux hommes ont un peu près le même âge de Julien mais vêtus de manière stricte et militaire. Que nous veulent-ils ? Je ne comprends pas tout. Je décide de rester écouter, curieuse et soudainement réveillée.
« -La guerre s'enlise vous savez. Nous avons ordre supérieur de réquisitionner tous les hommes pour le combat.
-Ce n'est pas déjà fait ? dis-je, perplexe.
-La preuve que non. Votre mari, il est encore là, auprès de vous. Vous avez eu bien de la chance Madame. Mais c'est terminé. Il doit nous rejoindre. Il doit aller combattre...
-Mais... Je... Attendez. Julien est blessé ! Il ne peut pas ! Il a une dérogation spéciale pour cela !
-Certes. Mais il tient debout. Il est fort et dans la fleur de l'âge. Il pourrait nous être utile. Comme tout le monde vous savez... »
Je ne réalise pas ce qu'il se passe. Non, pas du tout. Julien va tranquillement rester ici, lire son journal et peindre de beaux tableaux. C'est ça qu'on me dit. Parce qu'il a très mal au dos. Voilà, c'est ça...
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Le jardin de mon coeur
Narrativa Storica"Je m'appelle Ange. En 1944, mon jardin était tout pour moi. Jeune femme de la campagne, je n'avais conscience ni du danger ni du coup de foudre. Qu'est ce qui est le pire dans cette histoire ?" Mais bon, ce ne sont que des bouquets de fleurs, non? ...