L'école du Bien et du Mal II

Chapitre XXXIV

Et effectivement nous sommes très en retard. Le discours précédant les votes est visiblement déjà passé, l'orchestre joue déjà une musique entrainante et les invités dansent et discutent les uns avec les autres. Quel meilleurs moyen pour savoir qui vous souhaitez voir devenir doyen ? Je n'en vois pas vraiment de meilleur. Au fond de la pièce se tient une urne ouverte aux votes et quelques invités y déposent des papiers. L'urne est ensorcelée pour éviter les fraudes, mais aussi pour se clore à une certaine heure. Je m'avance entre les invités, mal à l'aise. Tout le monde connait tout le monde. Mais moi, je n'ai jamais été vraiment amie avec eux. Les seuls personnes dont j'ai été proche, très tard dans ma scolarité ne sont visiblement pas là. Ou alors, ce qui est aussi probable, sont cachés quelque part dans la foule. Je me dirige instinctivement vers le bar et me prends un verre que je descends d'une traite avant de recommander un autre. Je vois Diethelm écourter sa discussion pour me rejoindre à grands pas alors que mes doigts se referment sur le verre froid.

- Putain Ava tu fais chier il était charmant ! Râle-t-il.

- Je ne t'ai pas demandé de me chapeauter chéri. Je réplique froidement.

Il secoue la tête, agacé, mais ne rentre pas dans mon jeu. Il ne rentre jamais dans mon jeu quand je cherche le conflit. Sa main se pose sur mon épaule.

- Tu penses à quoi ?

- Au fait que je n'ai rien à foutre ici. Je souffle en regardant la foule.

- C'est faux. Bois un coup et va discuter avec les gens. On est plus des gosses, ils ne s'en prendrons pas à toi. Et puis, peut-être que toi aussi tu fera des rencontres charmantes.

Il me fait un clin d'oeil et je lève les yeux au ciel, avant de soupirer, buvant une gorgée dans mon verre. Il pose sa main sur la mienne.

- Tu penses à elle c'est ça ?

Je prends une profonde inspiration et ouvre la bouche pour répondre quand il se met à fixer quelque chose dans mon dos. Ses yeux s'écarquillent et un sourire apparaît sur son visage. Il me fait de petits signes, pas particulièrement discret, pour me signifier de me retourner. Les sourcils froncés, je pose mon verre et me tourne. Mon regard tombe immédiatement dans de magnifiques et très grands yeux bleu nuit, posés sur un visage presque rose, délicatement maquillé, faisant ressortir de jolies lèvres roses, et encadré de cheveux blond cendrés coupés en un carré raide. J'ai à peine le temps de la voir s'avancer vers moi dans sa robe bustier bleu nuit qui dévoile des rondeurs bienvenues, elle se jette déjà dans mes bras, me serrant contre elle de toutes ses forces.

- Ava ! Merde alors, j'ai appris ce qu'il t'es arrivé. J'ai eu terriblement peur !

Je le serre contre moi un instant, enveloppée dans son parfum délicat, avant de reculer pour la regarder à nouveau. Elle est toujours aussi belle.

- Je suis contente de te voir aussi Léonie.

Elle sourie et ses joues rosissent. J'ai du mal à quitter ses yeux des miens mais finis par le faire pour reprendre mon verre.

- Bon, bah moi je vais vous laisser les filles. N'oubliez pas d'aller voter hein. Dit Diethelm sur un ton équivoque en nous regardant à tour de rôle avant de partir.

Je souris et me tourne à nouveau vers la blonde.

- Comment tu vas ? Ca fait longtemps .. .

- Je vais bien, c'est à toi que je devrai demander ça ! Tu as faillis y passer il parait.

Je hausse les épaules et lui commande un verre. Je la vois sourire et mordiller sa lèvre en m'entendant commander pour elle sa boisson favorite. Je m'efforce de ne pas sourire aussi et répond.

- Je vais bien aussi. Et ce n'était rien, une égratignure.

Elle secoue la tête et bois une gorgée.

- On ne meurt pas d'une égratignure Ava.

L'entendre prononcé mon nom après tout ce temps me fait bizarre. Voilà déjà presque huit ans que nous avions rompus. Enfin, officiellement. Officieusement elle m'avait rendu visite quelques fois pendant encore cinq ans, jusqu'à ce que je deviennes professeur à l'école des contes en fait. Notre première rupture avait été violente, c'était plus une question de disputes que de manque d'amour. La seconde avait été plus tranquille, je n'avais pas vraiment de temps à lui accorder, et elle ne voulait pas rester avec quelqu'un qui ne lui donnait pas autant d'affection qu'elle le voulait. Nous avions donc cessé de nous voir. Et voilà qu'elle était face à moi, splendide dans sa robe de cocktail, rougissant comme au premier jour à chaque regard que je pose sur elle.

- Tu as déjà voté ? Me demande-t-elle car elle ne sait visiblement pas quoi dire d'autre.

- Non, je ne sais pas qui se présente. J'étais un peu en retard. Et toi ?

- Pour changer. Me charrie-t-elle avec un petit rire.

Je rit aussi avec un petit geste de tête coupable. Effectivement, lorsque nous étudions ensemble j'avais la fâcheuse manie d'être toujours en retard, ce qui l'insupportait d'ailleurs beaucoup à l'époque. Visiblement ce n'est plus tellement le cas.

- Oui j'ai déjà voté, pour mon frère.

- Ah bon ? Isidor est là ? Je demande en le cherchant des yeux.

Elle hoche la tête et le désigne. Il est au centre d'un groupe de Jamais, en train de raconter une histoire à grands gestes. Il se ressemblent beaucoup, il est juste plus petit qu'elle et ses yeux sont plus clairs. Ils sont jumeaux et étaient donc arrivés en même temps dans l'école. Lui avec les Jamais, elle avec les Toujours. Je n'avais jamais compris ce qu'elle me trouvait.

- Tu t'es présenté aussi ? Je demande alors.

- Oui, j'ai toujours voulu être doyenne.

- C'est vrai que tu serai une formidable doyenne. J'approuve en hochant la tête.

Et c'était absolument vrai, elle avait toujours été douée pour diriger les choses avec bonté et justice. Mais son frère était un vrai concurrent. Lui aussi avait toute sa place en tant que doyen.

- J'espère que ton rêve se réalisera alors.

Elle me sourie mais se disperse bien vite alors que l'orchestre entame une nouvelle musique.

- Oh j'adore cette musique !

Je lui tends la main en faisant un geste du menton vers la piste de danse. Elle sourit largement et prends ma main. Une fois au milieu de la grande salle, je l'attire contre moi et nous dansons.