SWORD 8

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Il est étrange de savoir qu'Alastor soit présent ici alors qu'il savait que je me promenais actuellement dans le village.

Je tentais de dissimuler au mieux mon visage tout en gardant un œil sur la scène intrigante.

La femme était prise par l'émoi, ses traits tordus par les larmes et le désespoir, ses mains jointes en une prière, alors qu'elle s'époumonait pour quémander rédemption et pardon.

J'admets que je trouve cela ridicule de tant s'accrocher à la vie, de supplier sans dignité pour passer la nuit.

- J'ai des enfants ! Des enfants jeunes ! Ayez pitié, je vous en conjure ! Qui les nourrira ? Qui s'occupera de mes bébés si je ne suis plus là.

Oh, ce n'est pas pour elle qu'elle quémande avec ferveur un allongement de son temps dans ce monde. Je suppose que je peux comprendre ce qui la motive.

Pourtant aucun signe ne démontre un changement d'avis de la part du Mage. Au contraire, du feu semble sortir du dessin complexe sur le dos de sa main, provoquant des cris de stupeur et des pleurs enfantins.

Vais-je assister à l'une des agitations qui forgent la mauvaise réputation de cet homme jugé sans empathie ?

- Vous avez passé un pacte avec moi et vous n'avez pas payé votre dû. Je n'aime pas les voleurs, alors remboursez-moi de votre vie.

- Je peux vous en donner une autre ! J'ai 4 enfants ! Prenez-en un !

Est-ce à quoi ressemble un sacrifice ? Une chose aussi affligeante ?

Ses enfants ne méritent pas cela ! Elle n'est qu'une lâche ! Qu'elle périsse, elle n'est rien. Si elle n'a pas la force d'assumer ou de régler ses affaires, alors elle n'est qu'une faible créature sans intérêt, dont la mort prématurée ne pouvait être que destinée.

Suis-je trop dure dans mon jugement ? Erebe secouerait sûrement la tête en signe de désaccord en marmonnant que je ne sais décidément pas voir la beauté de l'humanité. Mais quand aurais-je pu l'apercevoir ? Comment aurais-je pu l'apercevoir ? Chez qui, aurais-je pu l'apercevoir ? Quand tard dans le noir, j'étais le purgatoire des insurgés, des traîtres et des révolutionnaires. Quand tard le soir, je faisais cesser tout ce qui était à caractère diffamatoire.

Alastor fait disparaître sa magie d'un mouvement de la main et saisit à pleine poigne les cheveux de l'endettée, la forçant à se redresser en tirant sans ménagement sur le cuir chevelu. Sa voix tonna :

- Alors c'est ainsi ? Vous donneriez un de vos descendants pour que je vous laisse continuer à mener un quotidien des plus fades et sans aucun honneur ? C'est un cadeau que je vous fais que de vous ôter ce qui vous semble si cher alors que vous ne sauriez pas distinguer un trésor d'un tas de fumier !

Il la secoua comme si elle n'était qu'un vulgaire sac de pommes de terre déjà infectées par le mildiou.

- Quelle pauvre femme.

- Infâme, pensez à échanger son enfant à un tel monstre.

- Tout ça, c'est la faute de ce fou de Mage.

- Ne devrions-nous pas aller chercher un garde impérial ?

- Elle n'aurait jamais dû pactiser avec ce démon !

- Regardez ses yeux, ce sont ceux de l'enfer.

Il serait naïf de penser que les murmures de la foule ne lui parvenaient pas. Il avait seulement la décence de faire semblant. Après tout, il ne pouvait s'occuper que d'une seule âme à châtier.

- Prenez les tous même si vous voulez ! Mais épargnez moi !

Il se mit à rire alors qu'il poussa violemment son visage face contre terre, laissant le bruit d'un os résonner tel le glas de l'église. Sûrement le nez.

Il redressa le faciès sanguinolent de la coupable pour le montrer à la foule alors qu'elle hurlait de douleur et gémissait des propos incompréhensibles.

- Chose promise, chose due ! Je ne négocie pas avec vous.

- Qu'Eole ait pitié !

Le bourreau relâcha sa prise et envoya son pied contre le crâne de la femme déjà amochée, elle ne cria pas cette fois-ci. Elle avait perdu connaissance.

- Priez ! Mais vous vous trompez, vous devriez destiner vos serments à moi. Parce que votre Dieu n'existe pas ! Je suis donc ce qui se rapproche le plus d'une divinité.

Il posa son regard sombre mais pourtant moqueur sur les personnes présentes, il rencontra le mien et je crus discerner un rictus derrière son masque. C'est un personnage aimant la mise en scène, car il exagéra une révérence normalement destinée à la famille impériale avant de tout simplement disparaître, ne laissant derrière lui comme preuve de son passage, seulement un corps.

Personne ne se précipita au chevet de la blessée, à moins qu'elle ne soit déjà morte. Pourtant, ils sont là. Ils sont spectateurs de l'atrocité de la violence sans qu'ils n'essaient de l'enrayer.

Leur passivité m'agace.

Puis-je les blâmer ? Que peuvent-ils bien faire contre un Mage ? Contre un puissant Mage ? Contre l'ennemi de l'empire ? Ils sont sans défense, alors oser attaquer Alastor serait de la pure folie.

Une petite main tire avec douceur sur le tissu de ma cape dans le but d'attirer mon attention.

La coureuse maladroite de tout à l'heure hésite avant de prendre la parole :

- Madame l'Etrangère, vous devriez faire attention. Nous sommes proches du front et des terres des méchants sorciers. Alors ils viennent souvent ici. S'ils vous proposent quoi que ce soit, il faut refuser.

Ai-je l'air d'avoir besoin qu'une enfant me conseille et me guide ?

Elle perçoit ma confusion et elle chuchote :

- Des visiteurs se font souvent avoir, ils pensent qu'ils peuvent tromper les sorciers. Mais ils sont méchants, vraiment méchants. Surtout lui.

- Merci pour ces informations. Ne devrais-tu pas retrouver tes parents ?

Ses doigts maigrelets relâche le coton gris et elle renifle, ravalant des larmes trop conséquentes pour la taille de ses yeux :

- Papa n'est jamais rentré à la maison. Maman non plus.

Un adulte s'occupe-t-il d'elle ? Elle n'est pas un cas isolé, tout le monde a perdu quelqu'un, quelque chose durant ces sombres temps.

La peine commune s'alourdissait plus les mois passés, plus ils ravageait les espoirs, les rêves, les futurs des gens.

Une bonne tête couronnée ne pouvait pas laisser durer cette situation.

Parce que c'était son rôle.

Parce que je n'étais qu'une pièce dans sa main.

Ne te serre pas, s'il te plaît. Ne me fais pas croire que ça te touche. Tu es un cœur, pas un vrai cœur au sens poétique de sa signification.

Que ferais-je de tristesse et de colère ? Inutiles.

Sentiments ? Futiles.

Je le savais. Mais pourquoi ne pas me l'avoir ordonné ? Je n'aurais même pas cherché à comprendre. Parce que peu importe si demain, aujourd'hui ou hier sera, est ou était mon dernier jour.

Je n'ai pas de place. Je n'ai pas de nom, je n'ai pas de volonté propre.

Est-ce ça être vide ?

La fillette n'est plus là, s'étant sûrement éclipsée pendant que je m'étais perdu dans des pensées ne menant nulle part.

Je n'ai nul besoin de m'attarder ici, j'ai déjà eu le droit à une présentation plus détaillée de mon hôte.

Je ne peux pas dire que j'adhère à ses méthodes, mais oserais dire que je lui donnerais tort ? En toute honnêteté, je ne le ferais pas.

Elle était prête à échanger sa propre chaire.

Il n'y a rien de plus dégoûtant que des humains pensant avoir plus de droits que d'autres pour juger s'ils peuvent monétiser leur sort.

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant