SWORD 18

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Quelque chose n'allait pas, je ne saurais dire quoi exactement, mais mon instinct ne se trompait jamais. En entrant dans ma suite, je pouvais distinguer un changement presque imperceptible dans l'air, quelqu'un était là, se cachant dans la demi-pénombre des lampes allumées alors que la nuit et les astres s'étaient installés dans le ciel.

Je me dirigeais doucement vers ma chambre, ouvrant la porte pour dévoiler l'immense lit et posé sur celui-ci, Alastor.

La tension dans mes muscles se relâcha en constatant que ce n'était que ce vulgaire clown qui avait osé enfreindre l'intimité des lieux. Que faisait-il ici ? Je croyais qu'il ne devait pas être vu dans la capitale et encore moins au sein du palais, qui plus est dans les quartiers d'une dame. Étant ladite dame en question, je suis agacée de le trouver installé sans aucune gêne. Sentiment qui fut renforcé par le large sourire d'idiot qu'il m'accorda :

- Ether ! Je suis ravie de vous revoir ! Je ne vous ai laissé que depuis peu et vous arrivez à échapper à une tentative d'assassinat et d'en déjouer une autre. Cela dit, vous êtes blessée et il est regrettable que mon doux oiseau soit écorché.

Il aurait pu continuer à aborder cet air de pitre sur son visage, mais sa dernière phrase laissait transparaître une réelle inquiétude, ou elle se voulait sincère pour me duper. Il est compliqué de cerner ce mage qui agit toujours de manière inattendue, dans le fond, il faut simplement s'attendre au pire et il devient prévisible.

- Il ne me semble pas que vous ayez été invité ici Alastor.

- Je suis simplement venu féliciter cette dame d'être devenue duchesse. La Duchesse Hemera de la région de Borée. Que cela sonne noble, votre nom impose le pouvoir et la richesse.

Il s'était levé, attrapant un paquet qu'il dissimulait derrière son dos, il me tendit la boite rectangulaire d'un émeraude profond et dont le nœud fait de soie blanche maintient le couvercle en place.

- Je n'ai besoin de rien.

- Avez-vous été bien traitée par ces gens ?

Il avait placé l'objet entre mes mains alors qu'il s'enquérait sur mon accueil dans un endroit que mon âme s'est mis à redouter alors que j'étais celle qui fut un temps crainte. Je suis devenue la proie de ces nobles alors que j'étais le Corbeau, leur prédateur s'il tentait d'acquérir ce qui était à la famille impériale. Ridicule.

Je défis doucement le tissu, sans prendre la peine de répondre à Alastor, cependant, je sens son regard de miel sur le moindre de mes mouvements. Comme un chat attentif et curieux.

Le contenant dévoile une fine dague reposant sur un couffin sombre, le métal est finement travaillé. La garde est gravée de différents symboles, en son centre est sertie une pierre précieuse verte, la lame froide scintille doucement sous les reflets de la faible lumière de la pièce et je peux distinguer une fine écriture apposée dessus : "Fuga Corvus".

Un sourire m'échappe et il ne le manque pas puisqu'il se met immédiatement à fanfaronner :

- Je savais que ce cadeau vous ferait plaisir ! Vous n'êtes pas intéressée par les bijoux et les gardes robes somptueuses, donnez à cette dame une arme et elle sera ravie !

- Je pourrais très bien vous couper l'artère maintenant.

- Vous n'oseriez point, je suis bien trop précieux pour être écorché comme un vulgaire cochon.

- Vous ne manquerez à personne.

- C'est bien cruel comme manière de formuler, votre cœur est-il aussi froid que le nord ? Nous devrions peut-être enquêter sur vos origines, vous pourriez être une enfant dissimulée du clan Hemera.

- Cessez vos enfantillages. Vous savez que je ne suis rien de plus qu'une ancienne esclave.

Je soupesais avec précaution la précieuse arme, elle était de très bonne manufacture cela ne faisait aucun doute et je pouvais très bien estimer le talent du forgeron qui a eu la tâche de réaliser cette œuvre. Il est évident qu'il avait prévu de m'offrir celle-ci depuis un moment vu le temps nécessaire à la fabrication.

- L'aimez-vous ?

Est-ce de l'incertitude que j'entends dans la tonalité de sa voix ? Il n'a pas l'air du genre à se préoccuper des conséquences et des états d'âme chez les autres, au contraire, il se considère comme le centre de ce pauvre monde. Je croise ses pupilles semblables aux félins, il ne cache pas son analyse visuelle de mes traits. À croire que je pourrais mentir. Cependant, même si l'envie de me moquer de sa soudaine préoccupation me vient à l'esprit, je lui souris avec sincérité :

- Oui, merci. Il s'agit d'un cadeau précieux.

- Je suis venue vous avertir d'un mauvais présage. Voulez-vous savoir ?

C'est peut-être moi qui revêtais un masque de corbeau cependant le signe annonciateur de malheur se tient face à moi, ses cheveux blancs encadrant son visage, il pourrait être aussi charmant qu'un envoyé d'Eole, mais ne dit-on pas que les vices sont charmants, attirants et séduisants ?

- Cherchez-vous à me faire de la peine ?

- Je souhaite seulement vous donner les éléments qui vous permettront de voler parmi ces rapaces.

- Soyez concis.

- Vous aimez donner des ordres à ce que je vois. J'aime ça.

Pourquoi ai-je l'impression de discerner un sous-entendu malsain derrière sa phrase ? Il ne sait donc pas se tenir tranquille. Je pourrais relever cela, mais il dévierait du sujet principal, à croire qu'il ne sait pas se contenter d'une seule chose à la fois. Il se racla la gorge et annonça :

- Lorsque le Prince a donné l'ordre de vous tuer, un mariage lui avait été proposé. La prétendante est au château depuis la veille de votre arrivée Ether. Cela n'est pas officiel et a été très bien caché, pour éviter tout incident diplomatique.

Même l'idiot du village aurait fait le lien avec les récents événements, j'avais été annoncée à mon arrivée et la famille Nychta et Hemera ont toujours été proche. J'étais donc vu comme une rivale potentielle au titre de princesse héritière ou bien comme une menace en tant qu'élément de la force armée de cet empire. Cette femme était donc là soit pour préserver la paix, soit raviver les cendres des batailles menées.

- Qui est-elle ?

- Je ne suis pas sûr qu'il soit bon de vous dévoiler son identité.

- Oh, ne vous faites pas prier Alastor, vous n'êtes qu'une commère aimant jeter de l'huile sur le feu pour vous délecter des incendies que vous avez alimenté quand ce n'est pas vous-même qui craquez une allumette.

- Séléné Anemoi.

À croire que cette famille gravite autour de moi, la petite dernière de la famille ducale. Son aîné hérite de tout, Evan est un général respecté, et elle, une marchandise politique et monétaire. Je me demande si elle a appris à se battre, après tout les Anemoi n'ont pas besoin d'envier maladivement les Hemera quant à leurs compétences, même s'ils n'ont pas le même niveau.

- Vu votre expression, vous n'appréciez point mon information.

- C'est surtout vous que je n'apprécie pas.

Dans quoi suis-je en train de prendre parti ? Devais-je vraiment être sauvée ? À quoi bon rime cette comédie tragique où je comprends que j'ai des envies, où je crois que je peux avoir des rêves, être avide d'une vie alors que rien ne m'appartient, que je ne suis personne et que j'ai simplement changé de masque créant une mascarade, un ballet de mensonges, ne serais-je pas mieux morte ? Personne n'attendait mon retour alors pourquoi avoir pleuré quand j'ai cru que la douleur allait m'arracher à mon existence appartenant à un autre, pourquoi ai-je voulu ... Vouloir ... Est-ce égoïste ? À moins que ce soit le propre de l'être humain.

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant