SWORD 9

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Il était évident que j'allais revoir Alastor rapidement puisque j'étais logée chez lui, et il attendait mon retour puisque je le trouvai allongé sur la méridienne placée sous la fenêtre. La lumière solaire semblait le bercer dans des songes. Ses yeux fermés cachaient les pupilles assez uniques du Mage.

- Je ne crois pas vous avoir autorisé à rester dans mes quartiers.

Il tourna la tête vers moi et esquissa un sourire me donnant envie de lui arracher ses dents, peut-être qu'il aurait moins envie de dévoiler ce rictus.

Ce n'est pas dans mes habitudes de me laisser emporter ou d'être agacé surtout par la simple vue d'un faciès, mais je dois dire qu'il relève l'exploit.

Je détache les sangles en cuir qui retiennent mes armes et les pose sur le lit encore défait.

- Je vois que vous prenez vos aises, me congédier d'une salle de mon domaine, vraiment ? Je vous ai aperçu au village. Je n'avais pas réellement prévu de passer mais comme vous l'avez compris, je me devais de venir récolter ma paie.

- Vos affaires ne m'intéressent guère.

- Je crois plutôt du contraire. Mais il est vrai que je n'ai pas à me justifier sur mes actions. Or j'aime donner mon point de vue.

- Voulez-vous que je vous hurle encore dessus pour vous sommer de vous taire ?

- Vous pourriez vous mettre à crier pour autre chose.

Il força l'appui de son clin d'œil, ne laissant pas de doute quant à l'allusion peu gentleman qu'il venait de faire et je soufflai exaspérée par son comportement de goujat.

- Êtes-vous ce genre de personne peu recommandable ?

- Oh Lady, c'est seulement maintenant que vous vous en rendez compte ? Je veux dire, les gens disent que je ne suis qu'un tyran. Il est donc logique que je ne sois pas un homme déclarant des vers et des roses aux femmes.

- Vous cultivez votre côté détestable ou est-ce naturel ?

- J'aime croire que je possédais déjà ce talent mais que j'ai appris à le maîtriser plus que nécessaire afin d'exceller.

- Vous êtes vraiment imbu de vous-même.

- Imbu ? Moi ? De moi-même ? Non, seulement réaliste.

Je ne sais même pas pourquoi je suis exaspérée, au vu du peu de temps que j'ai pu passer avec lui, j'ai bien compris que je ne devais pas m'attendre à une conversation normale avec ce genre de clown.

Le sérieux ne semblait pas pouvoir s'inscrire sur son visage, à moins que sa ridicule comédie ne soit qu'un masque de peinture à l'eau. Car il serait encore plus sot de penser qu'il est idiot. C'est même tout à fait le contraire, il est réputé pour sa cruauté, mais surtout pour son intellect aiguisé, du moins autant que ma lame et la crainte qu'engendre la mention du Corbeau Noir.

Je pense qu'il part du principe que les gens sont bien trop candides et peu instruits pour qu'il s'épuise à expliquer ses idées. Alors il se moque d'eux. Il se moque de tout.

Si je devais résumer, je dirais sûrement que c'est un connard prétentieux.

- Si je vous raconte ce pourquoi je me suis déplacé, vous pourriez me conter comment vous êtes entrée au service de votre charmant prince. Enfin charmant, je le suis bien plus.

Mais il ne s'arrête donc jamais ? A croire qu'il est la personnalisation même de l'égo.

Chaque mot qu'il prononce, est un compliment pour lui-même. A ce stade là, ça frôle la maladie.

- Je n'ai pas envie de parler de cela.

Je n'ai surtout pas envie de parler d'Erebe. J'ai l'impression que je ne cesse d'être mise devant le fait accompli que son nom est omniprésent, qu'il est partout pendant que je ne suis qu'une chose que l'on a effacée. Je ne me sens pas à ma place, parce que je n'en ai jamais eu. Et les pensées encombrantes de ce style m'étouffent.

J'étais d'accord avec tout ça, alors ce n'est pas le moment de m'en plaindre.

Mon cerveau le sait. Alors pourquoi j'ai tant de mal à accepter de n'être qu'une arme que l'on a abandonné sur un champ de bataille vidé des cadavres.

Ses pupilles semblent s'amincir pour ne faire plus qu'une ligne fine noire dans ses orbes faites d'ambre :

- Est-ce douloureux ?

- Pourquoi ? Pourquoi voudriez-vous savoir ce que je ressens ? Si je vous avoue que je souffre, seriez-vous heureux ?

- Oh Lady, je ne suis pas le diable. J'admets ne pas être une bonne personne car les bonnes personnes sont les pires êtres possibles. Elles vous font culpabiliser de ne pas être altruistes alors qu'elles le font pour avoir une conscience plus légère, elles agissent selon les mœurs et la bienséance seulement pour leur image, ce n'est que de l'hypocrisie. Personne n'a le cœur pur et n'attendra qu'un merci comme récompense.

- Alors qu'attendez-vous de moi ? Qu'est-ce que ma vie peut vous apporter ?

- Je ne suis pas un menteur. Un tueur, un voleur, ça sans aucun doute. Mais soyez à l'écoute, bel oiseau, car jamais je fausserai la vérité.

- Alors en échange de votre support, d'un toit, de repas, et de ce que je veux, il me suffit de vous conter mon histoire ?

- Exactement ! Je suis un Mage qui aime les histoires !

- Êtes-vous un enfant ?

Il se contenta de hausser les épaules, il abordait cet air supérieur, comme si mes questions étaient profondément stupides. Il m'aurait dit que je gaspillais ma salive, cela aurait été peut être moins insultant.

- Et que se passera-t-il quand j'aurais fini de tout vous retranscrire ?

- Je vous l'ai dit, je n'ai aucun intérêt à vous emprisonner, à vous torturer ou toute autre mauvaise chose que vous pouvez bien imaginer. Vous ferez bien ce que vous voulez de votre destinée, mais ne gâchez pas les ressources que j'ai dépensées pour vous sauver. Mais je suppose qu'à l'heure actuelle, c'est beaucoup vous demander quand vous avez l'air autant perdu dans votre identité. Enfin, quand vous aurez trouver ce qui vous anime dans ce bas monde appelé Terre, je m'engage à vous aider à réaliser vos rêves.

- L'échange me paraît déséquilibré.

- Seriez-vous inquiète que je sois victime d'une arnaque ?

- Quand une offre est trop alléchante, c'est qu'elle est en général un piège déguisé.

- Voulez-vous dire masqué ? Un peu comme votre visage ? Car jusqu'à la fin, celui que vous servez, n'a jamais admis que vous puissiez être une personne à part entière.

Je dus ravaler ma salive, et sûrement un peu de ma fierté par la même occasion, pour ne pas lui répondre de manière virulente.

- Lady, saviez-vous que le Prince a annoncé ce matin même le Corbeau Noir comme étant la cause des malheurs ? Il a affirmé que vous avez trahi la nation, vous avez vendu des informations au Maître de la Tour de Magie et aux royaumes qui s'étaient alliés contre l'empire. Il a ajouté qu'il vous a tué et que c'est par votre mort qu'il a repris l'avantage sur l'ennemi. Vous savez ce que cet insolent de sang impérial a fait ?

Je ne vais pas aimer la réponse à cette question qui n'attend pas à ce que je daigne émettre une piste.

J'ai l'impression que ma gorge est prise dans un étau brûlant et que mon ventre se retourne.

- Il a brandi une réplique de votre masque et l'a brûlé en place publique. Le Corbeau Noir est un traître mort.

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant