SWORD 30

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- Expliquez-vous !

- Dame Hemera, puis-je entrer ?

Des coups à ma porte m'annonçaient l'arrivée du majordome et il posa son interrogation à travers le bois de la porte, détournant mon regard d'Alastor. S'il se faisait prendre ici, nous serions tous deux exécutés sans plus de préambule. J'allais lui dire de partir ou de se cacher, mais j'étais déjà seule dans la pièce. Seule preuve de son passage, le livre qu'il avait emmené et laissé derrière lui.

J'ouvris le battant et laissai entrer l'employé qui jaugea mon environnement d'un coup d'œil :

- Aviez-vous de la visite ? J'ai cru vous entendre discuter.

Il serait aisé de croire que l'âge avancé de l'homme serait une lacune pour lui, relâchant potentiellement son attention ou sa vivacité d'esprit, mais s'il est toujours à son poste, il doit être fin observateur, discret et le parfait rapporteur de la famille impériale, en plus d'un sens de gestion plus que primordial ici.

Je ne daignai pas répondre et m'enquis du sujet qu'il venait m'apporter :

- Suis-je quémandée ?

- Sa Grâce, le Prince, exige votre présence.

Il insista sur le verbe utilisé, différent de celui que j'avais inclus dans ma question, me rappelant que j'étais un sujet de cette nation et que par conséquent, je ne pouvais pas oser penser être celle qui se fait prier. Que mon statut de Duchesse est certes hautement placé, mais que personne ne peut surpasser la famille impériale, choisie par Eole pour gouverner et guider le peuple comme le ferait une boussole, une rose des vents.

- Bien, montrez-moi la voie.

Un sourcil gris se haussa et une moue dubitative laissa deviner ses pensées, il n'appréciait pas ma tenue. Je n'avais eu guère le temps de me changer avec l'invasion de mes appartements, seulement d'enlever quelques accessoires et pièces. En chemise fluide où quelques traces de terres, de sang séché et d'autres saletés résidaient encore sur un blanc terne, le pantalon était limé là où le tissu frottait contre la monture.

- Ne devriez-vous pas être plus présentable Duchesse Hemera ?

- Demandez à un soldat revenant de la guerre s'il peut cacher les balafres et se présenter entouré de parfum et de fleurs. Et après vous viendrez vous plaindre de mon sens esthétique.

Je le dépassai afin de prendre la direction de la salle du trône. Je pourrais me trouver un brin pathétique, accourant aux pieds qui m'ont refoulé. Je m'arrêtai soudainement, fis demi-tour sous les regards consternés des domestiques, et pris la direction des cuisines.

- Que faites-vous ?

Les pas précipités de l'apporteur de l'ordre me suivaient, tentant de me rattraper alors que je semblais flâner dans les couloirs. Cuisiniers et commis sursautèrent à mon intrusion. D'autant plus qu'ils tournèrent leur espoir vers une femme qui ne devrait pas non plus se trouver ici. À moins qu'elle ait oublié qu'elle possédait un noble rang faisant d'elle une fragile et pourtant précieuse personne.

- Duchesse Hemera.

- Lady Anemoi.

La tension palpable n'était dû qu'à un sentiment non-réciproque, lui accorder méfiance, mépris ou encore haine ne serait que lui donner bien trop d'importance. Ce ne serait que gaspillage de temps et d'énergie.

Sans plus de formalité, je me dirigeai vers la corbeille de fruits et pointai les aliments, me tournant vers le premier ayant un tablier :

- Puis-je ?

Ce que je suppose être le responsable ici, enlève sa toque et la tord entre ses mains :

- Votre Imminence, si vous désiriez une collation, vous pouviez enquérir votre dame de compagnie. Je m'assurerai de préparer quelques gourmandises selon votre convenance.

- Les choses simples sont les plus efficaces.

Une voix me chuchote dans le coin de mon esprit qu'Alastor aurait insisté pour savoir si j'aimais les choses simples plutôt que de m'en contenter pour une histoire d'efficacité.

J'attrape une pomme et l'essuie contre mon haut sous l'horreur et la consternation de mon public présent. Apparemment, cela ne se fait pas. La grimace qui échappa aux traits de cire de Séléné me le démontre suffisamment.

Quelle rustre je suis.

Je croque dedans et observe la chair pâle du fruit carmin.

- Duchesse, prenez au moins une assiette et des couverts.

Me faisait-elle la morale ? J'observai la rondeur de mon quatre-heures :

- Je ne souhaite déranger personne. Faites-vous quelques demandes pour votre repas Lady Anemoi ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'engage la conversation, enfin le but étant de retarder mon entrevue avec Erebe. Il n'a jamais eu à attendre ou à patienter de sa vie, je lui donne juste de quoi acquérir quelques compétences élémentaires.

- Duchesse Hemera, dois-je vous rappeler que vous êtes attendue ?

Le majordome laissait transparaître son mécontentement et j'offris une vague réponse de la main lui signifiant que je n'étais pas disposée à l'écouter.

La jeune femme parée de bleu et d'or, se tenant majestueusement dans l'humble endroit de travail, s'habillait et se comportait comme si elle était déjà sur le trône.

- Voyez-vous, je supervise les repas de Sa Majesté l'Empereur. Le Prince porte dans son cœur les inquiétudes d'un fils dévoué, espérant que son père se remette. Alors, étant celle qui partage sa vie, qui est sa plus précieuse alliée, il m'a octroyé sa confiance.

Je dirais plutôt qu'il se dédouane de toute responsabilité en cas d'erreurs, de problèmes, si un assassinat se déclare. Cependant, il serait inconcevable qu'Erebe complote la mort de son père. Il est l'unique héritier de la couronne, en ne faisant rien, il obtiendra quand même le titre.

Je laissai le trognon et quittai la pièce, ce fut Séléné qui me rattrapa, saisissant mon poignet :

- Duchesse. Ce que vous venez de faire était inconvenable.

S'il n'y a que ça pour la bousculer un peu, il sera facile de jouer avec ses nerfs.

- Lâchez-moi.

- Par votre comportement, vous venez d'insinuer que le chef et ses équipes ne vous conviennent pas. Qu'une pomme vaut bien plus que leur cuisine.

- Je n'ai pas dit cela.

- Au palais, tout se lit entre les lignes, car tout n'est que sous-entendu. Vous ne gagnerez rien à faire des employés vos ennemis.

- Contrairement à vous, je ne cherche pas les faux-semblants, je dis les choses telles qu'elles sont et si les gens pensent que je déclare une tout autre chose, il s'agit de leur problème et non pas du mien. Je ne veux pas être aimée, je ne veux pas être détestée. Je veux simplement la tranquillité.

- Alors vous auriez dû rester dans le nord Duchesse. Jouez le jeu du palais avant qu'il ne se joue de vous.

- La logique serait plutôt de ne pas commencer à entrer dans ledit jeu.

- Duchesse, veuillez renouveler vos vœux de chevalerie.

- Est-ce un ordre de ne pas trahir l'Empire ?

- Je vous aurai prévenu. 

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant