SWORD 20

46 10 2
                                    

Je crois bien avoir suscité l'admiration et le respect des chevaliers avec qui je m'entraînais, même si officieusement, j'étais devenue leur professeur. Les mauvaises rumeurs continuaient à mon sujet, mais je ne pouvais pas les empêcher de circuler et de courir dans les recoins du palais.

Je profitais du jardin parfaitement entretenu, découvrant la beauté des lieux, n'ayant jamais eu le temps auparavant d'admirer les fleurs. En tant que Corbeau, la beauté d'un être éphémère ne m'intéressait guère, mais le moi actuel avait l'air de découvrir ce qu'elle appréciait. Je me demandais encore ce que je devrais faire.

- Duchesse Hemera, ravie de vous rencontrer. Que le vent puisse vous guider.

Je me tournai vers la voix douce, mais ferme de la lady qui venait d'arriver. Il n'y avait aucun doute qu'elle soit la sœur d'Evan Anemoi, les traits de famille étaient indéniables. Elle ne s'inclina pas et je ne le fis pas non plus, je vis sa contrariété manifeste.

- Il ne me semble pas que vous soyez autorisée à vous promener ici.

- Et vous êtes ?

Elle parut outrée par ma question, après tout, il s'agit d'une des grandes familles ducales, et de ce que j'ai pu entendre, elle connaît une forte popularité. Elle m'offrit un sourire forcé, sûrement pour garder contenance face aux deux servantes qui la suivaient.

- Je manque à mes obligations, mes excuses. Je suis Séléné Anemoi.

Pour une fois qu'Evan ne m'accompagne pas, il a fallu que je rencontre sa sœur. S'il avait été présent, j'aurais pu prétendre, laisser le frère et la sœur se retrouver et m'éclipser. Je me retrouve à subir les conventions sociales. Mais je ne suis pas obligée de m'y plier.

Le silence plana entre nous, peu habituée à ce que personne ne lance un sujet de banalités, elle fronça légèrement les sourcils et décida d'opter pour une conversation directe :

- Que faites-vous ici ?

- Je me promenais, je ne savais pas que l'espace était restreint. Nul n'a tenté de m'arrêter quand je suis entrée.

- Il est vrai que vous venez d'arriver, et le Nord est si éloigné que les habitudes de la cour doivent vous être étrangères. Si vous avez besoin d'aide, je pourrai vous aider et vous guider.

Sous-entend elle que ceux de la région de Borée manquent de manières ? Je crois bien que je suis témoin d'une tentative visant à me rabaisser. Que c'est amusant et futile de voir que ces nobles sont si privilégiés qu'ils s'ennuient à ce point, jouant avec les mots pour flatter leur propre ego. Tout est une question d'image et celui qui fera passer l'autre pour un sot est le gagnant ? Je ne fais pas dans les enfantillages.

Je me contente de prendre en sens inverse le chemin par lequel je suis arrivée, sans daigner lui répondre.

- Vous pourriez au moins me répondre Duchesse.

- Vous n'avez posé aucune question, nulle réponse n'est nécessaire ici.

Sa mâchoire se crispe, elle est agacée. Et je pourrais presque dire que sa robe rose et les volants de tulle ne m'aident pas à la prendre au sérieux. Elle s'interpose sur la voie que j'emprunte :

- Ne commencez pas ce genre de plaisanterie avec moi.

- Contrairement à ce que vous pensez, je ne joue pas. Je suis des plus sincères.

Je la contournai, devant écraser les brins d'herbes taillés. Cherchant à m'éloigner rapidement de cette lady, je ne doute pas qu'elle sait ruser et qu'elle manie les tournures de phrases avec autant de talent que je fais parler mon épée.

- Duchesse Hemera, des cours d'étiquettes ne seraient pas de trop.

- Jamais je n'égalerai vos compétences Lady, veuillez m'excuser, je m'en vais en première.

- Je serai bientôt annoncée comme la princesse héritière. Alors connaissez votre place, et nous pourrions être amies.

Je ne connais que peu de concepts de la vie courante et peut être "normale" des gens qui ne sont des tueurs nés, mais je peux certainement assurer que la définition d'amitié est ici erronée. Enfin finalement tout n'est qu'une question de point de vue, nos réalités ne sont pas du même monde et pourtant, je me retrouve à devoir subir cet instant.

- À vous voir me menacer, j'ai l'impression qu'en réalité, vous avez peur de moi. Il y a ce dicton : "La meilleure des défenses est l'attaque".

- Alors vous avez choisi d'être mon ennemie.

Qu'il était épuisant de mener une joute verbale avec ce genre d'entêté. J'allais sûrement être migraineuse pour le reste de la soirée et c'était d'un désagréable horripilant. Aimait-elle me faire perdre mon temps ? Non pas que j'ai particulièrement d'obligations.

- Pensez ce que vous voulez Lady Anemoi.

Alors que j'arrivais enfin à m'échapper à cette femme, je distinguai le regard indiscret d'un homme à la fenêtre du palais. A-t-il peur que je ne décide de passer mes nerfs sur sa tendre et chère ? Je ne suis pas si puérile.

- Duchesse Hemera, je vous ai cherché partout. Vous ne pouvez pas partir sans rien dire à personne. Nous ne savions pas où vous étiez et nous étions inquiets.

Pour une raison qui m'échappe, les servantes qui m'ont été assignées m'ont l'air très dévouées et s'enquièrent de ma personne comme si elles éprouvaient des émotions positives à mon égard, Evan ressemble à un chiot me courant après. Pourtant je n'ai rien fait pour tenter d'être appréciée. Car je me fiche d'établir des relations, c'est ennuyeux et sans grand intérêt. Parce qu'ils finiront par mourir, parce que je ne comprends pas leur mode de vie, je n'éprouve rien face à l'humanité. Je n'oserais pas parler de mérite quand il s'agit d'amour ou d'émotions, mais de manière logique, les relations se construisent sur un échange qui est perçu de manière plus ou moins équitable.

Je ne dirais pas que je suis apathique, car je ressens cette fierté d'un devoir bien fait, d'une bataille bien menée.

- Voyons général, vous périrez bien avant moi en cas d'attaque. D'ailleurs, tout cet empire pourrait sombrer que je serais toujours debout.

- Vous savez que ce genre de propos pourrait être perçu comme une attaque à la dignité de la famille impériale ?

Je levai les yeux au ciel, sûrement qu'Alastor aurait ri et m'aurait proposé de faire brûler toutes ces terres pour vérifier mes paroles.

Tout ça n'a plus réellement de sens et je me demande si je ne devrais pas me contenter de partir dans le Nord, vivre une vie paisible sans souci. Oublier ce que j'ai pu être. Mais ce serait peut-être trop facile et lâche ? Faut-il être courageux pour ne pas ressasser le passé meurtri ou non ?

Evan me sourit avec douceur, comme si je n'étais qu'une illusion prête à s'effacer au moindre coup de vent.

- Comptez-vous engager de nouveaux chevaliers sous le sceau de votre famille ?

- Pourquoi ?

- J'aimerais en être.

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant