SWORD 16

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J'avais demandé que l'on m'apporte la tenue des gardes impériaux sans la cape, je n'avais pas besoin des robes qui avaient été mises à ma disposition. Et malgré la gêne palpable des domestiques, elles se sont exécutées.

Il s'agissait de la seule tenue confortable et présentable que je pouvais revêtir, Nadia avait cependant insisté pour ajouter un ruban de soie à mes cheveux. Elle avait l'air de tenir profondément à décorer un tant soit peu mon apparence.

- C'est assez osé comme choix Lady Hemera. Je ne crois pas que vous fassiez partie de nos membres.

La phrase aurait pu paraître mauvaise, dénuée de bonnes attentions, mais elle fut dite avec un ton amusé, malgré les traits illisibles du général. Ses orbes bruns brillaient de sincérité. Il pourrait être le cliché du fervent chevalier.

Je pris place face à lui et observa le liquide ambré de la tasse qui venait de m'être servie.

- Je vais succéder à mon père et si je ne me trompe, chaque Hemera de chaque génération, avait, et pour de bonnes raisons, le titre le plus haut gradé de l'armée.

- Il ne fait aucun doute que vous avez hérité et appris de votre défunt prédécesseur. Cependant, il faut aussi avoir fait ses preuves au milieu des autres chevaliers. Après tout, n'est pas leader qui veut, or vous êtes vouée à diriger votre propre bataillon. Et pour cela, il vous faut l'adhésion des autres. Vous ne pouvez pas lutter seule envers et contre tous.

Il ne cherche pas à me rabaisser ou à me donner des leçons comme si je n'étais qu'une jeune demoiselle naïve pensant mettre main basse sur son héritage sans aucune conscience de la réalité et des obligations liées à sa position. Il agit avec une bienveillance étrange. Je prends une gorgée de la boisson chaude, il demande :

- La sécurité va être renforcée autour de vos quartiers, puis-je vous demander ce qu'il s'est passé ?

- La situation est claire d'elle-même. Mais puisque vous tenez à une explication, la voici : un assassin s'est introduit et a tenté de me nuire lorsqu'il lui semblait que j'étais vulnérable. Or, il a échoué. Bien que j'ai trouvé cela très inapproprié qu'un homme s'introduise dans la salle de bain d'une femme.

Je discerne un léger rictus qu'il tente de rapidement dissimuler en l'effaçant en se rendant compte de ce signe d'amusement.

- Il était assez évident que vous n'êtes pas apte à jouer la proie. Après tout, je ne devrais pas être surpris par vos compétences Lady Hemera.

J'essaie tant bien que mal de discerner ce qu'il sous-entend, a-t-il engagé un jeu de mascarades sans que je ne m'en aperçoive ? Que cherche-t-il à obtenir ? Je repose la fine porcelaine sur son assiette, me contentant de ne pas lui répondre. Je lui ai rapporté ce qu'il voulait savoir.

- Devrais-je peut-être, vous appeler Maître.

Je me fige, la seule utilisation de ce terme venant d'un chevalier, s'adresse à celui qui lui a enseigné l'art des lames et du combat, celui qui le parraine et lui accorde son savoir et potentiellement un rang parmi l'élite des plus valeureux.

Suis-je menacée ? Cette identité, a-t-elle déjà trouvé ses limites ? Dois-je lui trancher la gorge ? Ou simplement me retirer et fuir. Le tuer ne ferait qu'alerter tout le monde et je n'ai pas besoin d'une attention inutile et risquée.

Il prend le temps de s'hydrater, alors que tout mon corps me hurle de sauter au-dessus de cette table afin de l'assommer et de partir. Mes muscles tendus me rappellent qu'ils ont été assez mal traités pour plusieurs vies. L'expérience de deux morts imminentes suffisent à laisser quelques séquelles.

- Je l'ai su dès que je vous ai vu. Et je pensais sincèrement mes mots. Je suis heureux de vous savoir en vie Maître. Il m'était impensable que vous ayez pu trahir l'Empire, vous êtes la personne la plus dévouée à cette nation.

Ne sait-il donc pas à quel point il a tort ? J'aurais pu brûler toutes ces terres pour sauver seulement et uniquement Erebe. Parce que c'était ma ligne de conduite, ma ligne de vie. Mais il se serait jeté dans les flammes pour secourir quelques gens. Alors disons que j'aurais pu sauver tout cet Empire pour Erebe. Mais les choses sont différentes désormais.

- Je n'arrive pas à croire que sous le masque, vous étiez Lady Hemera. Je suis impressionnée par le tour mis en place par Sa Grâce et vous-même. Il fallait calmer le peuple suite au chaos et au désespoir que la guerre a semés. Et puisque le mage Alastor ne peut être réellement arrêté et blâmé, a été désigné un personnage noir. Je n'arrive pas à croire qu'un mécréant est tenté d'usurper votre identité. Enfin soit, tout cela vous a aussi permis de retrouver une vie sociale en votre propre nom.

Qui suis-je pour le contre dire ? Après tout, le Corbeau Noir est une légende dont la réputation s'est vue entachée par la traîtrise, remplaçant le masque au bac par celui d'une tragique comédie ridicule. Il s'agissait de rediriger la colère des bonnes gens, afin d'apaiser les tensions, permettant au héros de cette patrie de briller encore un peu plus, se plaçant en sauveur et victime, car sa précieuse alliée, celle qui était à ses ordres, vendait les secrets d'Etat aux ennemis.

Les morts ne parlent pas.

Je me contente de hocher la tête.

- Je suis navré pour votre famille. L'avez-vous découvert après être retournée chez vous ?

- Oui.

- Au vu de la contribution de votre famille, votre nom devrait recevoir les hommages de Sa Majesté, demain soir lors de la passation du titre. Tous les nobles seront présents pour assister à ce qui s'apparente à un miracle.

À croire qu'Evan Anemoi ne fait que se leurrer dès qu'il s'agit de ma personne, et son estime pour moi, finit de fausser toute la bonne perception qu'il est censé posséder. Je me rappelle du jeune homme que j'ai entraîné, son regard alerte et son esprit attentif suivait chaque mouvement et chaque parole que je prononçais. Et j'aurais été aveugle si je n'avais pas remarqué l'admiration qu'il me portait. Contrairement à la peur qui émanait de ceux que je croisais.

- Evan. Vous savez que tout ceci n'existe plus ?

- Je voulais seulement vous en parler avant de tout oublier.

- Comment avez-vous déduit toute cette conclusion ?

Car il est bien impensable qu'Erebe lui ait tout avoué sur la vérité de la réalité malgré leur proximité qui pourrait presque s'apparenter à une amitié. Nous ne sommes pas dans un conte de fées.

- Je n'ai pas respecté l'une de vos consignes une nuit. Après l'entraînement, alors que l'aurore se profilait à l'horizon et que vous m'ayez renvoyé au dortoir, je vous ai suivi. Vous sembliez fatiguée et je m'inquiétais. Vous êtes allée retrouver le Prince et je n'ai pas entendu ce qu'il vous a dit, mais vous avez retiré votre faux visage. J'ai gravé en ma mémoire ce qui était si précieusement caché. De plus, il faudrait être atteint d'Alzheimer pour oublier la couleur si particulière de vos iris.

- Sauf que rien n'est plus.

- Je suis ravi de vous rencontrer Lady Hemera, et si vous me le permettez, je serais plus que reconnaissant de vous servir pendant votre séjour.

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant