SWORD 26

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Ai-je seulement donné mon accord pour une telle expédition ? Non, je dirais que j'ai été contrainte de collaborer avec quelques forces de l'Empire, plus exactement des apprentis chevaliers en plus d'une poignée de gardes impériaux. J'ai pu reconnaître quelques visages d'hommes avec lesquels je croise fer et bois sur le terrain d'entraînement.

Je sens le regard d'une personne dans mon dos, rempli de bonnes intentions certes, mais ça ne rend pas le tout moins pesant que d'être une cible. Je me retourne pour trouver le visage de Bayu, il m'accorde un léger sourire. Je reporte mon attention sur les autres personnes présentes.

- Il a été reporté par plusieurs villageois que des bêtes rôderaient. Je pense qu'il s'agit d'animaux sauvages ordinaires, mais dans le doute, nous nous devons d'inspecter la zone.

Preuve que l'alerte avait été prise avec légèreté, le nombre plus que minime de soldats requis pour faire face à des monstres démoniaques. Enfin soit, que les hauts dignitaires gaspillent leurs hommes ne me regarde pas. Qu'ils fassent bien ce qu'ils veulent.

- Dame Hemera est venue, c'est incroyable.

- Je pourrais presque avoir envie de trouver une de ces sales créatures pour la voir à l'œuvre.

- Ne nous porte pas malheur.

Mon attention se porte vers le capitaine de cette troupe, il souffle discrètement, passant une main dans ses cheveux blancs. Assez âgé, je présume qu'il n'attend que le moment où il pourra se reposer sans se soucier de discipliner la jeunesse. La balafre qui barre son visage de son arcade sourcilière à sa lèvre supérieure laisse deviner ses combats et son expérience. Capitaine d'une division, il n'a daigné que me jeter un regard indifférent alors que je rejoignais les rangs de cette escouade sous-entraînée.

Je venais de surgir dans le monde, je semblais être sortie d'un cauchemar illusoire, où j'étais la descendante d'un immense guerrier respecté. Il ne savait pas encore si j'étais digne de mon héritage ou si je n'étais qu'une Lady chanceuse jusqu'à présent, cherchant un brin d'aventure. Il n'était pas interdit pour les femmes de manier une épée, mais cela était rare car très mal perçu. Une société patriarcale en somme.

- Qu'en pensez-vous Dame Hemera ?

Bayu gardait l'une de ses mains posées contre la garde sa lame rangée, prêt à réagir contre toute attaque soudaine.

Les pins s'élançaient vers le ciel sombre, les nuages lourds menaçaient de laisser tomber leur charge. Un corbeau était posé sur une branche, ses yeux curieux nous suivaient du regard et c'est bien la seule présence non-humaine que je pouvais discerner dans les alentours. Cependant, il était assez étrange qu'un tel volatile se promène dans les environs désertés.

Je croisai ses billes brillantes, sa tête se pencha légèrement sur le côté, un battement d'ailes lourd pour lancer son décollage et le voilà tournoyant au-dessus de nous comme le ferait un vautour.

- Dame Hemera ?

Je balayai d'un geste de la main la question et posai mon index contre mes lèvres intimant le silence dans cette forêt obscure. Le capitaine fut alerté par cette soudaine prise de directive, mais n'objecta pas.

- Sortez vos armes.

J'avais murmuré le plus bas que possible, mais l'ordre avait été entendu et c'est tout ce qui comptait à ce moment-là. Il serait sûrement très mal perçu que je revienne d'une expédition où de jeunes recrues étaient déployées, sans lesdites recrues. Je risquais sûrement d'être accusée d'un immonde crime que je n'aurais pas commis et il serait temps de casser cette routine qui devient lassante.

Le léger tintement du fer sorti de son étui se fit entendre et de légères vibrations percèrent les environs, les arbres semblaient s'écarter et le bruit du bois abattu orienta nos sens en alerte en direction du Nord.

- Une bête approche. Si vous le pouvez, lorsqu'elle ne vous regarde pas. Fuyez.

Je ne pouvais qu'espérer que les plus intelligents m'écoutent et prennent soin de leur vie si fragile. Cependant, par témérité, ego ou inconscience, la distinction en est parfois floue, je sais pertinemment que quelques-uns tenteront d'affronter le monstre qui se présente déjà dans notre zone.

Un immense loup noir difforme surgit, la gueule bavante et sanglante, tient encore la carcasse d'un paysan des environs, dénué de pupille ou même d'iris, une étrange fumée prune et noir semble s'échapper de sa fourrure hirsute. Une grosseur est visible sur sa nuque, ressemblant presque à une autre tête.

- Par Eole, quelle vision d'horreur.

- L'enfer.

- Démon.

Ces rejetons tremblaient comme des feuilles, je serais assez surprise si on maintenait plus de la moitié d'entre eux en vie.

- Dame Hemera, que comptez-vous faire ?

- Je vais attirer son attention, guidez les autres en sécurité Capitaine.

Il détourna son attention de notre adversaire afin de me jauger, se demandant s'il sera châtié pour avoir laissé la Duchesse Hemera, dernier membre de la famille ducale proche des têtes couronnées, se sacrifier. Mais qui parle de sacrifice ? Je compte vivre jusqu'à en fatiguer l'humanité.

- Dame Hemera.

Mes doigts se crispèrent autour de la garde de mon épée, je pris une inspiration courte. Je m'élançai vers cet animal corrompu, il se dressa sur ses pattes arrières, prêt à bondir. Je plongeai pour éviter de me faire écraser.

Il tournait enfin le dos aux apprentis et je fus soulagé de les voir battre en retrait. Je n'avais pas besoin de gênes inutiles pendant que je pouvais enfin me confronter à une entité à ma hauteur.

Des griffes frôlèrent mon dos alors que je roulais dans la terre pour esquiver encore une de ses charges.

Il est rapide. Bien plus que n'importe quelle bête que j'ai pu rencontrer.

Il n'a toujours pas lâché le corps du malheureux qui s'est fait avoir. Lui non plus n'aura pas de sépulture.

Qu'est-ce qu'il fait là ?

Alors que je faisais face au museau de la créature, un scintillement s'était manifesté au niveau de sa croupe. Un de ces idiots était revenu pour en découdre.

Que Eole en soit témoin, s'il ne finit pas dans l'estomac du loup, je serais celle qui coupera le fil du destin. L'ordre était pourtant simple.

Bien évidemment, l'animal l'avait repéré et donna un grand coup de queue, balayant l'homme tel un insecte. Tout en tentant de me faire rencontrer ses coussinets décharnés.

Devrais-je ramasser le fou ?

Qu'il meurt. Personne n'a jamais daigné m'accorder compassion, pitié alors ne parlons même pas de sauvetage. Pourquoi devrais être redevable à ceux qui symbolisent ma rancœur ? Je n'ai que faire des autres.

Des pas précipités perturbent les grognements de la bête et le silence de l'évanoui, Bayu se jette aux côtés de son camarade, tendant un arc, il relâcha la corde. La flèche fut brisée aisément.

Que faire ? Laisser le préféré d'Evan périr en tentant de sauver un de ses compères ou bien, risquer de mettre en péril mes défenses pour les aider ?

Je dois être une cible trop difficile à chasser, car le monstre se concentre uniquement sur les deux chevaliers.

- Que comptes-tu faire ?

Je tourne la tête et rencontre le corbeau qui nous avait annoncé l'arrivée de la personnification de la mort. Ne dit-on pas que les corvidés sont des présages ?

Ses yeux ne sont plus des ronds noirs profonds, mais d'une teinte dorée aux fentes caractéristiques.

- Alastor, est-ce vous qui avez attiré le monstre ?

- As-tu vraiment le temps de me poser de futiles questions ? Une épée ou un arc banal ne blessera jamais cet ennemi. Mais je peux te dire ce qui le peut. À toi de voir, après tout, deux morts sur la trentaine d'hommes amenés, c'est un bon ratio.

Une vie pour en sauver d'autres, ça ne marche pas ainsi. C'est logique, mais c'est cruel. Et il est égoïste de faire prévaloir ce choix lorsque l'on n'est pas soit même l'agneau sacrificiel. Cependant, n'ai-je pas prévenu ?

Je croise le regard de Bayu, ses cheveux bruns sont trempés de sueur et je ne vois que de la rage sur ses traits, une haine de vivre.

Le rugissement du loup provoque la chute de son ancien morceau de viande. Il se précipite les crocs en avant vers ses deux nouvelles proies.

- Je vais le regretter.

Je cours pour couper la trajectoire de la mâchoire affamée.

- Fuga Corvus, Ether.

BUILD A VILLAIN - ENCOURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant