Chapitre 33 : Thaïs

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Elles sortirent prendre l'air en cette journée fraîche ensoleillée et sans école.

A chaque pas, elles laissaient des traces dans la fine couche de neige. Bien emmitouflées dans leur doudoune, elles profitaient de l'air pur que leur procurait la forêt. Cette promenade de bon matin se fît en silence et aucune d'elle ne vint le trahir. A la fin de cette promenade reposante, toutes deux s'assirent dans la neige au bord du lac gelé. Une bonne dizaine de minutes passèrent dans ce même silence, avant que Thaïs ne le brise.

- Emilie ?

- Oui ?

- Tu te souviens de la maison devant laquelle je m'étais arrêtée quand la police nous suivait ?

Emilie hocha la tête en signe d'approbation.

- Si tu veux savoir où je suis quand je ne suis pas là... eh bien je suis là-bas, devant cette maison à penser à ma famille.

Emilie resta stupéfaite, elle n'avait pas songé ces derniers mois que Thaïs lui dirait un jour où elle traînait après les cours. Et surtout que ce lieu était celui-ci. Elle laissa Thaïs continuer sans dire un mot :

- Je pense avoir vécu dans cette maison avec mon papa et ma maman juste avant sa mort. Tu penses que ça pourrait être vrai ?

Emilie eut une minute d'hésitation avant de répondre à cette hypothèse plus que surprenante.

- Après tout, c'est vrai que la façon dont tu t'étais arrêtée devant cette maison était bizarre. J'avais vraiment l'impression que tu connaissais cet endroit. Mais on pourra jamais être sûr...

- J'espère que c'est ça, ça me fait du bien de penser que cette ville n'est pas n'importe laquelle, que je la connais, et que mes parents y ont vécu.

En effet, avec tous les changements que Thaïs avait eu dans sa vie, ainsi que tout ce qu'elle ignorait, comme la mort de sa mère, le refus de son père de parler d'elle, puis s'enchaînant très vite, la mort de son père, son enlèvement, sa fuite, Thaïs avait besoin d'être rassuré sur le fait que cette ville ne lui était pas inconnue. Elle avait besoin d'un repère et cette hypothèse d'avoir vécu ces premières années ici lui faisait beaucoup de bien. En ce sens, elle n'avait plus l'impression d'être une étrangère aux yeux des habitants du coin.

- Tu fais quoi quand tu vas là-bas ? questionna Emilie.

- Rien. Je regarde la maison et je m'imagine à l'intérieur à quelques mois, puis 1 an, puis 2 et 3 ans avec mes deux parents. Je les vois me sourire, jouer avec moi, me prendre dans leurs bras, danser avec moi dans le salon. Et moi, je suis heureuse.

Prise de vive émotion, Thaïs versa quelques larmes, il fallait les laisser couler.

- Comment était ta maman ? osa Emilie.

- Grande, cheveux longs bruns et lissés, belle, fine, elle portait des lunettes noires, toujours des chaussures à talons, elle arrivait très facilement à marcher avec. Elle était toujours gentille, comme mon père, jamais ils ne criaient, en tout cas pas devant moi.

- T'as des photos d'elle ? Et de ton père ?

- Non, j'en ai plus aucune, elles sont toutes restées dans l'appartement de mon père, mais j'ai toujours leur visage en mémoire. Comme ça, je suis pas trop loin d'eux. Et toi ?

- Non plus, mais moi aussi je garde des souvenirs d'eux dans ma tête, je peux même te dire comment était ma maison. Plutôt grande, un jardin avec pleins de fleurs que mon papa avait planté, il y avait même une balançoire que j'adorais ! Les murs de ma chambre étaient roses et gris, j'avais un lit blanc et un bureau de la même couleur. Oh et j'avais un grand placard où ranger ma robe de princesse et toutes mes tenues, et puis mes jouets que je rangeais pratiquement jamais ! Mes parents me disaient de les ranger pourtant, mais je ne sais pas je ne le faisais pas, puis ils me disaient rien après, comme c'était ma chambre, si je rangeais pas, c'était mon problème. Ils étaient peut-être trop gentils avec moi, je ne sais pas comment font les autres parents. En tout cas, eux ils fonctionnaient comme ça, tu ranges pas, tant pis pour toi... Je les aimais beaucoup, on jouait très souvent tous les trois, à cache-cache par exemple ou des jeux de cartes. Jamais je ne les oublierais.

- Ils resteront toujours près de moi aussi.

Toutes deux, le nez en l'air, elles fixaient les nuages comme si elles voyaient leurs défunts parents. Puis, Thaïs se leva d'un bond et proposa à son amie :

- Veux-tu que je t'emmène à mon refuge ? J'ai envie de te le montrer.

- La peut-être vieille maison de tes parents ? Bien sûr ! répondit-elle un grand sourire aux lèvres.

Elles partirent sur le champ. Arrivées devant la fameuse maison, Thaïs s'assit sur le bord du trottoir et observa la maison. Emilie l'imita alors. Pour ne pas trop troubler le silence, Emilie chuchota :

- Les gens ne te regardent pas bizarrement quand tu t'assoies là et que tu fixes cette maison ?

- Si, je crois, mais je m'en fiche.

- Et les gens qui habitent dans la maison ?

- C'est un homme seul qui habite là, il ne fait pas attention à moi, et à chaque fois qu'il rentre, je pars.

Emilie, à la façon de son amie, fixa la maison. Elle essayait, à travers les vitres, de voir l'homme qui habitait ici. Elle se demandait à cet instant, ce que jamais Thaïs ne s'était demandée, qui était cet homme ? D'où venait-il ? Que faisait-il ?

Plutôt que de rassurer Emilie, cette maison l'intriguait et même lui faisait un peu peur, car finalement, peut-être que cette maison était connue aux yeux de Thaïs, mais pour Emilie c'était tout le contraire.

Une heure plus tard, Thaïs décida qu'il était temps de rentrer et se leva. Emilie la suivit. Le chemin du retour à leur cabane se fut dans le silence, toutes deux réfléchissant sur deux sujets bien différents. Emilie n'arrivait pas à penser à autre chose qu'à cette maison qui lui était totalement inconnue et de fait ne la rassurait pas du tout. De l'autre côté, Thaïs continuait à songer à la vie de ses parents avant la disparition tragique de sa mère.

Arrivées chez elles, elles se mirent à dîner. Le repas fini, Thaïs qui d'ordinaire se couchait au minimum une heure plus tard que son amie, fut celle coucher la première cette fois-ci. Mais, elle ne s'endormit pas immédiatement, car un livre l'attendait à son chevet. Elle s'assit dans son lit, un oreiller derrière son dos et le livre qu'elle venait d'avoir en cadeau entre ses mains. Emilie esquissa un sourire en voyant son amie dans cette position. C'était bien le meilleur présent qu'elle pouvait lui offrir se dit-elle.

Thaïs commença ainsi sa lecture. Sur la première page, Emilie avait écrit « A Thaïs, mon amie, ma sœur, qui à tout jamais fera partie de mon cœur ». Rien que cette dédicace noyait ses yeux verts de larmes.

Sur la page suivante, l'histoire de Thaïs débutait.

Emilie racontait la naissance de son amie, elle ne savait pas comment celle-ci s'était passée, mais elle pouvait facilement affirmer dans son premier paragraphe que Thaïs était un beau bébé et que ses parents étaient incroyablement fiers de sa naissance. Emilie avait imaginé le bébé Thaïs avec quelques cheveux blonds très clairs sur le crâne, des joues bien roses et des yeux vert clair.

            A minuit, Thaïs continuait de dévorer les pages de son livre. D'ailleurs elle arrivait sur la fin. Ce livre retraçait la vie de Thaïs, depuis qu'elle était née au jour où Emilie et elles s'étaient rencontrées. Le livre racontait ce qu'Emilie savait de son amie, mais aussi ce qu'elle ignorait d'elle. A leur rencontre, Emilie avait trouvé Thaïs toute chétive, fragile, mais avec un petit caractère, puis au fur et à mesure, ce caractère s'était imposé.

Des parents de Thaïs, Emilie ne pouvait en dire beaucoup, puisqu'au moment de l'écriture, elle n'en savait pas autant sur sa famille que ce dont elle venait d'apprendre dans la journée. Néanmoins, elle avait pu écrire sur la fameuse poupée de sa maman, qu'elle n'avait hélas pas amené avec elle lors de son enlèvement et l'histoire d'horreur sur la mort de son père. Elle y racontait même les derniers mots de son père que Thaïs lui avait confessé lorsqu'elles étaient toutes deux enfermées chez les mafieux.

A la lecture de ce livre, Thaïs éprouva différentes émotions. La joie lorsqu'Emilie racontait le bonheur que Thaïs vivait avec son père. La peur au débarquement des mafieux. La tristesse et les pleurs en découvrant le corps de son père. L'angoisse dans ce 4x4, dans cette cage lorsqu'elle ignorait son destin. Puis, ce petit rayon de soleil quand elle rencontra Emilie. Toutes ces émotions se mélangèrent en une soirée. A la fin du livre, Thaïs était si épuisée qu'elle ne put même pas prendre le temps de le ranger. Le sommeil la prit immédiatement, quelques gouttes de larmes encore sur les joues et le livre sur son ventre. 

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