Chapitre 15 : Insouscience

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La pluie tomba toute la journée. Elles restèrent dans la cabane bien que miteuse, à discuter pour oublier le ciel en colère. Elles échangèrent sur ce qu'était leur vie avant ces péripéties. Emilie disait qu'à son école, elle avait de nombreux amis. D'ailleurs, elle y avait un amoureux. Un certain Cédric. Elle l'aimait beaucoup, mais à présent elle ne pourrait plus jamais le revoir, tout comme ses parents qui lui manquait plus terriblement.

Thaïs n'avait pas d'amoureux, mais avait aussi énormément d'amis.

Toutes deux étaient en 6°, lorsque les mafieux avaient débarqué dans leur vie. Thaïs avoua même qu'elle avait beaucoup de mal en cours. De son côté Emilie affirmait avoir de bonnes notes, mais qu'avec tous ces évènements, elle n'arrivait pas à se souvenir des cours qu'elle avait suivi tout au long de l'année, comme un trou de mémoire. Ceci est loin d'être anormal, bien qu'elles prétendissent le contraire. Il est récurrent, au contraire, qu'après un évènement de ce type de brutalité, la mémoire défaille, comme si on voulait tout oublier du fait que le passé était trop douloureux pour le garder en mémoire. Dans certains cas, comme celui-ci, il valait parfois mieux oublier des choses, sinon la douleur restait à vie.

La nuit traversant la petite fenêtre de la cabane annonça aux jeunes filles qu'il était tant de dormir. La pluie toujours bruyante, elles se résignèrent à dormir sur le sol de la cabane, malgré sa dureté et poussière, puisque le lit était trop plein de toiles d'araignées. Allongées, l'une face à l'autre, elles restèrent muettes. Elles se regardaient dans les yeux, le bleu se mélangeant au vert comme si ces deux couleurs n'en faisaient qu'une. Sans aucunes paroles, les nouvelles amies se comprenaient, sans prononcer un seul mot, elles pouvaient deviner ce à quoi songeait l'autre. Ces deux âmes en peines étaient liées par le destin... une larme s'échappa d'un de leurs yeux, comme en miroir. La larme évaporée, elles trouvèrent enfin le sommeil malgré l'inconfort de leur matelas de bois.

*

Le lendemain, des rayons de soleil transpercèrent la petite fenêtre sans vitre de la cabane. Les fillettes s'éveillèrent le ventre grognant et les yeux aveuglés par cette puissante lumière.

- S'lut, bien dormi ? demanda Emilie en se frottant les yeux.

- Salut... pas très bien, et toi ? répondit son amie en baillant grossièrement.

- Pas bien dormi non plus... ça fait mal au dos de s'allonger là-dessus...

Emilie bailla à son tour. Les jeunes filles se levèrent, bien que toutes deux souhaitaient à tout prix retomber dans leurs rêves aux paysages si jolis et sans soucis s'échappant d'une réalité maussade.

Elles époussetèrent leurs vêtements qui en une journée ne semblaient déjà plus neufs, puis elles ouvrirent la porte de la cabane. Elles sentaient l'air frais. A l'extérieur, de nombreuses flaques d'eau et un arbre couché à quelques pas de la cabane témoignaient du passage de l'orage. Les fillettes levèrent la tête vers le ciel afin de s'imprégner de la chaleur du soleil, après cette mauvaise nuit bruyante et froide.

- Ça te dit un p'tit déj' plein de fruits ?

- Bien sûr ! J'ai trop faim ! répondit la jeune brunette le visage radieux.

Il est dit que le soleil a le pouvoir de rendre les gens heureux et que la pluie les attriste. Les deux fillettes en étaient le parfait exemple.

Elles partirent en chasse de fruits mûrs, marchant accompagnées des chants mélodieux des oiseaux. Chacune d'elle prenait un grand plaisir à sautiller librement dans cette nature si belle, lumineuse... mais si sombre à la fois quand on sait ce qu'elle cache aux fins fonds de ses arbustes et entre ses gigantesques arbres qui semblaient toucher les nuages. Thaïs marchait en tête, bordant le lac. C'est alors qu'Emilie eut une idée.

- Thaïs ! cria Emilie en souriant.

Sans crier gare, Thaïs se retourna et reçu des éclaboussures sur son visage. Alors qu'elles bordaient le lac, Emilie avait été prise d'amusement et l'avait éclaboussée d'eau. Les yeux de Thaïs laissèrent transparaître un air de défi. S'ensuivit de cette blague lancée par Emilie, des rires d'enfants et d'autres éclaboussures. Les fillettes se poursuivirent ensuite dans la forêt. L'une voulant se venger et l'autre s'enfuyant en riant.

- Attrape-moi si tu peux !

Pendant ce moment de joie, les deux amies avaient oublié la peur de croiser les mafieux et la tristesse qui les hantait depuis la mort de leurs parents. Maintenant, les larmes qui coulaient de leur visage correspondaient au simple bonheur enfantin.

Le cœur rempli de lumière et des sourires pouvant se lire sur leur visage, comme dans un livre ouvert, illuminaient les heures sombres du passé.

Thaïs rattrapa Emilie, elle l'accrocha au bras et dans l'élan du jeu, les fillettes tombèrent dans l'herbe verte.

- Hé !

Les rires des deux enfants s'arrêtèrent net. Un homme venait de crier, non loin d'elles. Tremblantes, elles se relevèrent, le doux sourire s'effaçant de leur visage. Elles se cachèrent derrière un chêne et risquèrent un regard.

- Vous les avez retrouvées j'espère, grondait un homme d'une voix rauque.

Emilie reconnut aussitôt la voix du chef du gang, le tueur de ses parents. Une larme refît surface sur le visage de la petite fille.

- Non chef...

Thaïs fît dépasser sa tête du tronc pour apercevoir la scène.

- Incapables ! s'énervait le chef.

Ce dernier sortit un révolver de sa veste de costume et le pointa sur le pauvre garde... il tira. Le garde tomba si raide sur le sol que Thaïs pensait que sa colonne vertébrale s'était brisée sous le choc. Les yeux verts de la fillette se refermèrent sur le coup. Les deux amies portèrent une main à leur bouche. Il ne fallait pas se faire entendre. Elles se retournèrent collant leur dos contre l'écorce. Emilie n'avait pas vu la scène, mais le seul fait d'entendre cette balle projetée hors de son canon la fit avoir des vertiges. De ses deux mains elle retenait son cri de douleur. Cette vision d'horreur était d'autant plus difficile à supporter qu'elle refît songer les jeunes filles à leur passé vite devenu sombre et triste.

- Maintenant, tu surveilles tout seul, répliqua le chef au second garde. Et tâche de ne pas faire d'erreurs.

Puis, le chef rentra dans son repère.

Les deux amies retournèrent immédiatement à leur cabane abandonnée. Par peur de se faire retrouver par les mafieux, elles s'enfermèrent dans leur abri. Elles n'en sortaient plus de la journée bien que la faim et la soif les dévoraient. Aucune d'elles n'eut le courage d'aller jusqu'au lac ou même de cueillir quelques fruits dans les arbres d'à côté. Elles passèrent leur journée en ermite dans leur pauvre petit refuge. Leur corps devint vite maigre et faible, elles avaient d'ailleurs beaucoup de mal à rester debout longtemps à cause de leur corps devenu trop frêle. 

Les InséparablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant